Des
maladies vénériennes, de la prostitution
et du mythe des Ouled Naïl dans l’Algérie coloniale
Par L. Abid - Professeur à la faculté de médecine d’Alger
(12 janvier 2007)
Pour les filles publiques françaises et étrangères, les arguments avancés étaient que « beaucoup étaient déjà cartées en France ; d’autres, entraînées à la suite de l’armée puis abandonnées par leurs amants militaires, et pour échapper à la misère, ont pris le parti de se faire inscrire parmi les filles publiques ». Pour le grand nombre de filles indigènes, même si la misère est citée en premier, comme le signale le capitaine Pelissier : « Les propriétaires dépossédés reçurent en 1831, sous 1e gouvernement du général Berthezène, une indemnité équivalente à six mois de loyer de leurs biens. Depuis cette époque la masse de ces infortunées s’est prodigieusement accrue. Or, les indemnités qui leur sont dues s’élèvent dans ce moment à 120,000 fr. de rente. On conçoit toute la gêne qu’une pareille somme, enlevée annuellement à quelques familles peu aisées pour la plupart, a dû y laisser, en échange, de misère et de désespoir. Cependant personne n’a voulu pénétrer le secret de tant de douleurs. De pauvres enfants tendent la main, au coin des rues, aux humiliants secours de l’aumône. De malheureuses filles destinées naguère à la chasteté du nœud conjugal sont livrées par là faim à la prostitution, et personne ne s’enquiert de la cause de ces misères », on essaya quand même de trouver d’autres causes tels que, l’influence du climat, un relâchement extrême dans les mœurs, une répugnance instinctive de la femme pour les travaux manuels, le manque absolu de principes religieux, et la grande facilité accordée aux Maures de répudier leurs femmes ! « Les Mauresques plongées dès l’enfance dans la plus grande oisiveté ne rêvent qu’amour et toilette ; elles sont continuellement occupées de leur personne. Elles n’ont d’ailleurs aucun plaisir, aucunes distractions, aucun genre de récréation que nos femmes d’Europe peuvent se donner ; elles ne peuvent donc songer qu’à l’amour, c’est le seul mouvement de leur existence, la seule pâture qui soit permise à leurs facultés, à la surabondance de vie qui les tourmente dans leur retraite ; aussi concentrent-elles tout leur être sur ce point ».
Léon Roches dans son ouvrage ‘’ Dix ans à travers l'Islam ‘’écrit quant à lui : « Près d'eux, en face de nous, sont assises quelques Ouled-Naïls dans leurs vêtements de parade : longues tuniques de mousselines blanches ou bleues, d'un bleu pâle et criard, comme aiment en porter les paysannes de France les jours de foire et de procession. Mais ces danseuses n'ont que ce point de commun avec les « Enfants de Marie ». Au repos cependant leur maintien est d'une parfaite correction et même lorsque, en dansant, elles miment les gestes les plus précis de l'amour, leur visage demeure d'une impassibilité absolue….Aussitôt l'une de ces demoiselles se lève, faisant bruire les multiples bracelets de ses chevilles et de ses avant-bras, le bandeau de sequins qui barre son front, sous une coiffure en filigrane d'argent ou d'or. Ses pieds menus accélèrent la cadence sur le tapis de haute laine, et ce frémissement monte le long des jambes, s'amplifie au bassin en vagues de volupté, et vient mourir le long des bras levés, au-dessus de la tête immobile, dans le tremblement des doigts minces qui agitent un mouchoir de soie, ondoyant et diapré comme une flamme…Le bachaga doit connaître les goûts des Européens, car les danseuses qu'il a choisies sont minces, jeunes…».
Le symptôme local propre de la syphilis était le chancre et/ou le bubon qui survenait ordinairement du septième au quatorzième jour après un coït impur, rarement plus tôt ou plus tard. " Le chancre non expulsé vicariant fait taire la syphilis interne, et ne permet pas à la maladie vénérienne d’éclater, aussi longtemps qu’il reste à sa place sans y toucher. "" … le mercure est le seul remède qui chasse toutes les sortes d’affections vénériennes avec certitude, si bien que nous n’avons pas besoin de chercher aucun autre remède pour les maladies vénériennes. " "Le chancre est un sage signe de la bonne nature qui, quand il est compris et suivi par le médecin…rend cette maladie très facile et très sûre à guérir."
Le traitement du chancre primitif ou du bubon vrai, sans complication de psore évoluée, relevait de Mercurius vivus. Sa guérison complète s’effectuait en 15 jours. Le mercure, prescrit contre la syphilis était même considéré comme un test diagnostique parce qu'il induisait une salivation abondante, voie d'élimination des humeurs. En 1888, le traitement de la syphilis, qui devait durer entre 3 et 5 ans, comportait du protoiodure d’hydrargyre associé à une application locale d’antiseptique, suivi, les années suivantes par un traitement associant de la liqueur de Van Swieten à de l’iodure de potassium. Pendant longtemps, les vérolés étaient soumis à une diète sévère, et le service de l’hôpital qui leur était réservé s’appelait « les Diètes ». Pour le traitement de la blennorragie, on faisait appel à diverses tisanes tempérantes et à des poudres voire à des injections comportant de la liqueur de Van Swieten ou du Tannin.
Ricord, syphiligraphe et fin clinicien démontre, dans ses ouvrages des années 1835-1840, l’intérêt de l'examen gynécologique utilisant le spéculum et la différence entre la gonorrhée et la syphilis. Il écrit : « Le chancre induré est indolent, suppure peu, s'accompagne de ganglions peu volumineux et sans réaction inflammatoire. Le chancre mou est ulcéreux, phagédénique même, et le pus qu'il secrète en abondance est indéfiniment inoculable au porteur. Au premier, succède fatalement l'infection constitutionnelle dont la guérison n'est obtenue que par le mercure, tandis que le second, accident purement local, n'exige pour se cicatriser que l'emploi de topiques ".
Joseph Rollet, en 1854, précisera que les lésions de la syphilis secondaire étaient contagieuses (cas de transmission de la mère au fœtus et de nouveau-nés à des nourrices). Une tentative de vaccination anti-syphilitique a donné lieu à ce que l’on a appelé la syphilisation, oeuvre du docteur Auzias-Turenne. Selon ce médecin, la syphilisation est un état physiologique dans lequel l'organisme, ayant épuisé sa réceptivité pour le virus syphilitique, n'est plus apte à subir l'évolution de la syphilis. Cet état est obtenu par des inoculations successives de chancres qui devaient permettre une vaccination préventive de la syphilis, sur le modèle de l'inoculation de la variole bénigne qui protège contre la variole.
En 1893, Charles Nicolle présente sa thèse sur le chancre mou dont le bacille responsable avait été découvert par Ducrey en 1889. En 1899 a lieu la 1ère conférence internationale pour la prophylaxie de la Syphilis et des maladies vénériennes à Bruxelles. En cette fin de siècle, si les connaissances médicales sur les maladies vénériennes progressent grâce, en particulier à l’œuvre du docteur Alfred Fournier à Paris qui affirme l’origine syphilitique du tabès et de la Paralysie Générale, et grâce aux travaux des microbiologistes, avec la découverte du gonocoque par Neisser en 1879, les médecins restent limités sur le plan thérapeutique d’où le renforcement de la lutte contre la prostitution qui va se traduire en 1901 par la création de la société française de prophylaxie sanitaire et de la ligue nationale française contre le péril vénérien à l’initiative d’ Alfred Fournier.
Les progrès réellement décisifs dans la connaissance des maladies vénériennes datent de la fin du dix-neuvième siècle et surtout du vingtième siècle : outre l’isolement du tréponème de la syphilis par Schaudinn et Hoffmann en 1905 et la mise au point de tests sérologiques : réaction de Bordet-Wassermann en 1906, c’est surtout la découverte de l'efficacité de la pénicilline en 1943 (Mahoney, Arnold et Harris) qui va renforcer l’arsenal thérapeutique limité pendant des décennies aux dérivés arsenicaux, bismuthiques et mercuriels. L’efficacité de la pénicilline dans le traitement de la gonococcie et dans celui de la syphilis révolutionna la prise en charge de ces maladies qui jusqu’alors nécessitaient un traitement de longue haleine. De plus, son efficacité dans le traitement des femmes enceintes syphilitiques, permit d’éloigner le spectre de la syphilis congénitale.
Des maladies vénériennes chez les soldats du contingent en Algérie
Pour connaître l’influence qu’a eu la réglementation de la prostitution au nom de la santé publique, il suffit d’analyser les tableaux dressés à ce sujet au niveau des dispensaires à Alger et dans les autres villes du pays ainsi que les statistiques des militaires hospitalisés pour maladies vénériennes.
On peut lire dans un rapport médical établi
en 1861 : Pour la vile de Nemours : aucune ville de France
ou d’Algérie n’offre un chiffre de vénériens
aussi élevé en 1860. Parmi les hommes de la garnison,
il y a 18 fois plus de journées de vénériens
que celle de Biskra. « On a fait, en Algérie, une
observation assez curieuse : c’est que les maladies vénériennes
sont plus communes sur les côtes et surtout dans les ports
de mer, que dans l’intérieur des terres et dans les
villes. Il semblerait donc rationnel, si l’on voulait combattre
efficacement la syphilis, de soumettre les matelots à des
visites de santé avant de leur permettre de débarquer.
…On voit reparaître la syphilis lorsque les bataillons
qui tenaient garnison dans les villes du littoral sont dirigés
dans les postes des montagnes. Les médecins chargés
du service sanitaire trouvent toujours, dans ces mutations, un certain
nombre de soldats qui doivent être soumis à un traitement
antisyphilitique ».
Des maladies vénériennes chez les filles
publiques en Algérie
Le dispensaire d’Alger créé par l’arrêté du 14 août 1830 et qui ne servait qu’au traitement de la syphilis chez les filles publiques disposait « en décembre 1837 de 4 lits et de 26 matelas dégradés, aussi les filles que leur situation maladive rendait plus dignes d’intérêt, couchaient-elles par terre ….. Aussitôt qu’une ville avait cédé à la force de nos armes, on s’empressait d’y créer de semblables établissements, ou du moins des salles détachées des hôpitaux militaires pour y recevoir les filles publiques ».
Toutes les filles étaient tenues de s’y faire inscrire et de s’y pourvoir d’un livret. Elles étaient obligées de se présenter une fois par semaine au dispensaire et de payer une rétribution mensuelle de 5 fr. Le dispensaire était placé sous l’autorité du maire mais l’impôt était perçu par le commissariat de police. Connaissant la difficulté de déceler les signes cliniques de la syphilis et de la blennorragie, et les examens de laboratoire indispensables pour confirmer un diagnostic (examens qui à l’époque n’étaient pas encore mis au point ), force est de reconnaître que la visite médicale n’était souvent qu’une simple formalité administrative, les prostituées, examinées en série, étaient expédiées en un tour de main et avec un tel manque de soin que cet examen pouvait même propager les infections d’une femme à l’autre.
Ce dispensaire accueillait les vénériennes de tout le département d’Alger. Son personnel aux premières années d’activité était composé d’un économe, un médecin, un homme de peine et un portier. Les filles publiques payaient au dispensaire 5 fr. par quinzaine mais pour ne pas aller à la visite médicale, la police recevait une rétribution qui varie de 5 fr. à 20 fr de chaque fille malade. On imagine ainsi les résultats de cette prise en charge des maladies vénériennes en Algérie où le dispensaire d’Alger était considéré comme étant le plus organisé. Dans les autres villes, les salles des filles publiques étaient installées pour la plupart dans les hôpitaux militaires.
Les relevés du dispensaire d’Alger pour le deuxième
semestre de 1849, l’année 1850 entière et le
premier semestre de 1851donnent les chiffres suivants :
Le nombre faible de cas de syphilis est mis sur le nombre fréquent
des visites médicales et la qualité de la prise en
charge, ignorant le racket mis en place par la police municipale.
Selon C. Tarraud : Le problème sanitaire est l’argument
mis en avant pour justifier le répressif mais en fait cela
ne vise qu’à l’exploitation économique
des filles. Les archives médicales nous montrent que le souci
sanitaire est annexe. Peu sont soignées, et mal. Par contre,
on n’oublie pas de leur prélever la taxe sanitaire
! Les agents du contrôle sont des médecins, corrompus
pour délivrer les certificats. 5% des filles sont soignées.
Il y a beaucoup de clandestines à cause de cette violence.
La mortalité est très importante (d’après
les chroniqueurs), mais on n’a pas de chiffres. Que deviennent
les corps ? Il n’y a rien dans les archives.
En 1895, à l’hôpital Mustapha est installé une clinique de 104 lits pour « les maladies des pays chauds, cutanées et syphilitiques » dont une baraque pour l’hospitalisation des femmes. Cette clinique sera dirigée par le professeur Brault de 1904 à 1910 puis par le professeur Cambillet auquel succèdera le docteur Montpellier de 1910 à 1918.
A la fin de la première guerre mondiale, le professeur Maurice Raynaud prendra en charge cette clinique où il exercera pendant une trentaine d’années aidés par les docteurs Béraud, Colonieu, Hadida, Imbert, Marill, Huguenin Robert et Robert D’Eshougues.
Le professeur Elie Hadida, élève de Raynaud le remplacera en 1949. Il est considéré comme le père de la dermatologie-syphiligraphie en Algérie. En 1959, à l’occasion du 10ème Congrès de l’Association des Dermatologues et Syphiligraphes de langue Française, sera inaugurée l’actuelle clinique de dermatologie, modèle du genre avec un laboratoire de sérologie de la syphilis, une animalerie, un laboratoire d’histopathologie etc.
La réglementation de la prostitution était condamnée par une grande partie du corps médical et au Congrès international de la Société de prophylaxie tenu à Bruxelles en 1899, elle était considérée comme illusoire, dangereuse même au point de vue de la sécurité mensongère qu’elle crée. Une année auparavant, c’est le professeur J.-L Chaufleury von Iyssenlstein qui, dans la Revue de morale progressive du mois d’août 1889, écrit : « Une visite médicale, si minutieuse soit-elle, n’offre aucune garantie sérieuse contre la contagion. Une prostituée sûre n’existe pas. Toute contagion qui a lieu dans les maisons contrôlées par les autorités est une preuve de l’inefficacité du système de la visite sanitaire ; elle engage de la manière la plus grave la responsabilité de ceux qui ont ordonné la visite et de ceux qui l’ont faite ».
Pour sa part le docteur Mauriac écrivait : «Je trouve monstrueux qu’on dise que toute femme qui fait commerce de son corps doive être soumises à certaines servitudes, à certaines mesures permettant de contrôler la qualité de la marchandise et de protéger le consommateur, alors que le consommateur n’est astreint à aucune servitude, à aucune mesure propre à garantir la marchandise ». Dans le même ordre d’idée, Noëlle Drous dans son livre ‘’ De la prostitution’’ écrit en 1922 : « Tandis qu’on exige d’elles, le passage à une visite médicale, tous les huit jours, pas la plus petite garantie n’est requise du côté masculin. Il arrive dès alors ceci que l’homme peut, à son gré, se faire le véhicule de toutes les maladies, contaminer ces malheureuses qui, entrées saines au service public, n’en sortent que pour entrer à l’hôpital dans la plupart des cas. ». En 1936, lors d’une réunion de la Société Française de Dermatologie et de Syphiligraphie, le docteur Marcel Pinard terminait sa communication par ces mots : « Les maisons de tolérance sont le point de départ de véritables épidémies et l’argument de sécurité, invoqué en leur faveur, est singulièrement usurpé ».
Si les maisons de tolérance et la réglementation de la prostitution ont été maintenues en Algérie, ce n’est pas tant pour des arguments hygiéniques et de salubrité publique mais comme le dit si bien C. Tarraud, « Le règlement dans le domaine sexuel est le bras armé de la violence coloniale. C’est pourquoi l’indépendance mettra fin à ces quartiers et à ces maisons de tolérance. Il y aura un essai de revenir à l’état antérieur et de rendre la prostitution à nouveau invisible. »
… en Algérie après l’indépendance aussi…
« La prostitution est devenue telle qu’on ne peut l’esquiver. Elle « dérange » en devenant trop visible. La présence importante de jeunes adolescentes à peine sorties de l'enfance poussée par la misère que l’on trouve dans des cabarets des petites villes de la côte Est encore hier plongées dans un provincialisme de bon aloi, femmes S.D.F et prostrées dans leur dénuement et l'abandon de tout espoir accroupies dans les centres-villes, toutes ces images et bien d’autres encore nous dissent que la prostitution massive s'installe. ». De nombreuses villes algériennes sont encore régies par les vielles lois coloniales de mise en carte et de surveillance des femmes prostituées dans des maisons closes qui les réduisent à l’état de bétail. Après les années 80 écrit Oukaci (In La prostitution des enfants en Algérie, Le bouclier 2006) les autorités n´ont pratiquement plus donné d´importance au phénomène de la prostitution. Pire, ils ont procédé, sous la pression de la montée de l´islamisme, à la fermeture des endroits où elle était autorisée sans aucune étude ou une politique de «rechange » quant au devenir des prostituées.
Livrées à elles-mêmes, elles se sont éparpillées ici et là. Le résultat est que ce fléau s´est amplifié et ses ramifications ont touchés presque tout le territoire national. On assiste, aujourd´hui même à l´exportation «des Jeunes filles » à l´étranger : Algérie -Dubaï Via la Tunisie et la Syrie. Typiquement la prostitution s´exerce dans la rue, les boites de nuits, les hôtels, les maisons clandestines, les bars et mêmes à l´université.
Les prostituées les plus exposées sont celles qui font le trottoir ou sur les routes nationales. Tandis que les prostituées professionnelles, qualifiées aussi de prostitués de luxes et qui jouissent d´une protection d´un réseau très organisé, elles courent moins de risque. Les routes nationales Constantine-Batna, Béjaia-Setif, et Alger-zeralda étaient bordées de prostituées offrant leurs services. La prostitution est devenue conventionnellement, un moyen acceptable de gagner sa vie…..La plupart des filles impliquées dans la prostitution ont, entre 15 et 18 ans, encore que l´ont ait vu apparaître des filles de moins de 15 ans. La plupart de ces filles se sont enfuies des centres de rééducations. Dans la plupart des cas, elles se prostituent pour gagner de l´argent ou pour trouver à se loger, généralement, chez leur souteneurs, ou les femmes adultes prostituées, ayant des appartements, qui leur servent de maisons closes, et où elles peuvent recevoir, sans aucune inquiétude les quelques personnalités locales, où même nationales, pour abuser des petites filles de moins de 18 ans.
Les endroits, où opèrent ces prostituées professionnelles et leurs souteneurs sont connus par tout le monde. Depuis 1995, on constate un essor prodigieux d´hôtels de luxe, où la prostitution fleurit légalement, or il est illégal pour les filles de moins de 18 ans de travailler dans de tels endroits. Les réseaux de la prostitution sont très bien organisés, bénéficient d´une/ou des couvertures, et utilisent du matériel très perfectionné. En Juin 1999, le ministère de la solidarité a parrainé un séminaire portant sur les problèmes des jeunes filles victimes de violences avec la participation des représentants de la « société civile », des universitaires chercheurs, des juristes et des psychiatres. Les recommandations de ce séminaire, malheureusement restent, des déclarations d´intentions.
Une autre violence à laquelle fait face la femme en Algérie « depuis une décennie et demi, c’est le viol utilisé comme arme et stratégie de guerre par les groupes islamistes : punition sexuelle infligée pour rappeler à la femme et celles de son sexe, les limites de sa présence dans la sphère publique ; acte de terreur afin de décourager les femmes de poursuivre une activité minimale de survie économique …» (Samir Rekik in El Watan, 17/12/2006).
Pour en savoir plus :
Le
Sphinx marque au fond la rencontre triomphale de la sexualité et de
l’administration. On y a autant le goût de la fête que le souci de la
mise en scène. Dès le salon, ces dames attendent que les clients se
décantent à leur arrivée autour d’une bouteille de champagne. D’autres
font une haie d’honneur afin d’annoncer le programme des réjouissances.
Certaines ont bien l’air de ce qu’elles sont, des demi-mondaines. La
maison s’ouvre au saphisme tandis que l’inventaire des perversions se
fait de plus en plus raffiné. Les cannes à système érotique déposées par
les messieurs recèlent une cravache, un fouet ou un martinet. On se
croirait dans
un harem de haute lignée, n’eût été la présence de celle que l’on
n’appellera pas la tenancière par égard pour la tenue de son
établissement. Un jour, Marthe Le Mestre dite Martoune, la maîtresse des lieux, publiera ses mémoires Madame Sphinx vous parle,
titre qui annoncerait la suite des aventures de Blake et Mortimer
plutôt que la chronique d’une dame de haute maison. Expulsée par son
propriétaire de la rue Pasquier où elle tenait une maison de
rendez-vous, elle avait jeté son dévolu sur cette maison en 1929 alors
qu’elle avait à peine 30 ans. Près de vingt chambres et
trois salons répartis sur quatre étages selon la fiche très précise de
la PJ. La Brigade mondaine avait donné son accord « dans un but de santé publique »
(délicieuse litote !) et dans la mesure où il n’y a ni église ni école
dans les parages. Juste un restaurant, un marchand de vins, un plombier,
un épicier et un marchand de porcelaines. Rien que de très convenable.
et du mythe des Ouled Naïl dans l’Algérie coloniale
Par L. Abid - Professeur à la faculté de médecine d’Alger
(12 janvier 2007)
Les maladies vénériennes
actuellement appelées maladies sexuellement transmissibles
(MST) ou infections sexuellement transmissibles (IST), sont des
maladies infectieuses qui requièrent pour leur transmission
des contacts interhumains étroits, comme ceux que réalisent
les rapports sexuels. Cette particularité a impliqué
et implique encore que des considérations morales se mêlent
aux considérations médicales dans la prévention
et le traitement du " péril vénérien «
Ceci a entraîné, au 19ème siècle, l’institution
par l’armée d’occupation d’un réglementarisme
de la prostitution au triple prétexte de sauvegarde de l’ordre
public, de la morale et de l’hygiène publique ; la
prostituée étant celle par qui le péril vénérien
se propage.
Selon Fodéré, « Dans les
villes où il y a garnison et beaucoup de célibataires
par état ou par nécessité, la prostitution
devient une sorte de mal nécessaire qu’on est obligé
de tolérer pour en éviter un plus grand encore ; mais
qu’il est indispensable de la soumettre à des dispositions
constantes de garantie envers le public, sous le rapport de la santé
et du bon ordre, afin qu’elle soit le moins nuisible possible.
Cette nécessité de la prostitution une fois admise,
on voit que ce sujet est capable d’offrir un grand intérêt
au médecin observateur, sous le rapport de la morale, de
la législation, de l’hygiène publique et de
la population ».
Qu’en était-il de la prostitution
à Alger avant l’arrivée des troupes françaises
? Très peu d’écrits à ce sujet, mais
elle existait certainement comme elle l’était dans
toutes les sociétés depuis les temps les plus reculés.
Selon le père don Diego de Haedo la prostitution existait
dans la ville d’Alger au XVIème siècle et selon
E.-A. Duchesne le nombre des filles publiques à Alger était
estimé entre 300 et 500 à l’arrivée des
troupes françaises en 1830 : « Il y avait des Mauresques,
des Arabes, des négresses, mais il n’y avait pas de
Juives autorisées. Les femmes publiques étaient enfermées
dans des maisons, particulières et divisées en diverses
classes dont chacune avaient ses prix ; elles ne pouvaient sortir
sans la permission du mézouar.
Un fonctionnaire particulier, nommé
Mezouar, avait la police des maisons de bains et des lieux de prostitution
; il était, en outre, chargé de faire exécuter
les jugements criminels.
C’était le grand bailli ou le
lieutenant général de la police ; …et il était
chargé spécialement de la surveillance des femmes
qui faisaient métier de la prostitution… C’était
toujours un Maure qui occupait ce poste de mézouar, lucratif
mais des plus abhorrés, car il faisait aussi, office de bourreau
chargé de faire pendre, étrangler ou noyer, les criminels
des deux sexes». Les filles publiques étaient
tenues d’habiter des quartiers spéciaux situés
à la partie moyenne de la Casbah : Bir-Roumana, rue du Loc
d’or, rue de la Girafe ; Bir Djebbah, rue du Palmier, rue
du Scorpion ; Hamman fruita, rue du Chêne. Le mézouar
tenait la liste des filles et percevait une redevance mensuelle
qui était de 2 douros d’Espagne pour les plus jolies
filles et de 3 boudjoux pour les autres. Le mézouar avait
en outre la permission de faire, un certain nombre de fois par année,
une sorte d’exhibition de ses administrées dans des
bals publics. Le mézouar achetait ces avantages au prix d’une
redevance annuelle, et il versait dans les caisses du Dey une somme
dont la quotité était fonction du nombre de filles
publiques à sa charge et soumises à sa taxe.
« Le mézouar avait intérêt
à voir ce nombre s’accroître ; en conséquence
; il faisait rechercher par ses agents les femmes réputées
honnêtes dont la conduite était suspecte ; et s’il
pouvait prouver devant le cadi qu’elles étaient tombées
en faute, elles étaient, inscrites sur le livre du mézouar
et tenues de payer la taxe ». Avant 1830 les filles publiques
avaient deux bains particuliers, qui étaient Hammam Fruita,
rue du Chêne, et Hammam Jotto, rue des Marseillais. La charge
de mézouar a toujours était dévolue à
un homme et ce n’est qu’avec l’arrivée
des français que vont apparaître les tenancières
de maison de tolérance appelées dames de maison. Quand
un individu avait contracté une maladie vénérienne
avec une fille, il la signalait aux autres clients. Le vide se faisait
autour d’elle, et la nécessité de rattraper
sa clientèle l’obligeait à suivre la diète
rigoureuse de quarante jours qui était le seul remède
efficace usité en pareil cas. Pour ce qui est des mœurs
dans le Sud, selon les médecins de l’époque
: « Les Arabes aiment beaucoup les femmes, mais ils n’ont
pas la lubricité des Maures, ils s’en tiennent à
leur femme ; ceux qui sont riches ont des concubines. Il n’y
a pas ou peu de filles publiques dans les tribus ; aussi il y a
peu de maladies vénériennes. L’affection vénérienne
est assez fréquente chez les Maures ; ils attribuent à
un air frais sur les reins, etc. Ils la guérissent surtout
avec les sudorifiques. »
A un degré plus élevé que
la fille publique, il y avait les femmes entretenues. Selon C. Tarraud,
avant la colonisation, le marché de la sexualité masculine,
licite comprenait, en plus de ces filles publiques, les femmes issues
du marché des esclaves : femmes en provenance d’Europe
de l’est et femmes d’Afrique Noire ainsi que les courtisanes
ou hétaïres (femmes entretenues, lettrées parlant
plusieurs langues étrangères, réservées
à l’élite) et les danseuses. Ces deux dernières
catégories étaient dites libres, ayant une certaine
autonomie. Elles ont été mariées puis répudiées
ou elles sont veuves ou divorcées. « La prostitution
a lieu dans ce cas au domicile, la nuit, et est donc invisible.
Ces femmes qui suivent des règles pour vivre avec les autres
catégories dans la médina, mènent une vie sociale
assez normale et participent à la vie de la communauté.
»
Au lendemain de la prise d’Alger, l'armée
française confrontée à une importante épidémie
de maladies vénériennes qui se traduisit par un engorgement
des hôpitaux militaires et des infirmeries régimentaires,
prit la décision d’organiser et de réglementer
la prostitution dans la ville d’Alger. Dès le 12 Juillet
1830 un service de salubrité est créé à
Alger mais la charge du mézouar n ‘est pas supprimée,
bien au contraire, elle est officialisée et obtenue par adjudication
: «... Aussitôt que l’on eut pris possession
du pays et en présence de troupes assez nombreuses, on sentit
que, dans l’intérêt de la santé du soldat
et des arrivants attirés à Alger par l’espoir
d’y faire fortune, on devait réglementer la prostitution…
En 1832, cette charge du mézouar fut officiellement allouée
pour la somme de 2 046 Francs ce qui laisse à penser que
quelques 200 femmes étaient nécessaires pour couvrir
la charge ».
Ce réglementarisme de la prostitution, défendu
en France par Parent-Dûchatelet, va diviser les prostituées
en plusieurs catégories, dont les deux principales sont la
femme en carte et la femme en maison de tolérance. La première
est une femme qui exerce son métier à son domicile
et dépendant de la police municipale. Des règlements
spéciaux lui interdisaient d’habiter certains quartiers,
de sortir de chez elle à certaines heures, de fréquenter
certaines rues. La deuxième catégorie, la plus importante
est représentée par la fille soumise qui exerce son
métier dans une maison de tolérance où il lui
est interdit de sortir seule, d’être toujours accompagnée
lors de la visite chez le médecin ou au dispensaire. Dans
ces maisons, les filles subissaient un véritable esclavage,
puisqu’elles étaient tenues de se livrer à tous
les individus qui se présentaient quel qu’en soit le
nombre. Il s’agissait en fait de « maisons d’abatage
» où elles devaient assouvir les besoins sexuels de
la troupe et dans un but de rentabilité maximum elles étaient
régulièrement transférées d’une
maison à l’autre.
Duchesne écrit à propos
de ces maisons de tolérance : « L’arrivée
de notre armée et l’arrêté du 11 août
1830 ont commencé à modifier cette situation. Les
lupanars se sont organisés comme en France, et l’enseignement
mutuel du vice s’est trouvé constitué sous nos
auspices. Les prostituées indigènes ont appris et
pratiqué ces raffinements de débauche des filles publiques
étrangères avec lesquelles elles se sont trouvées
en contact, soit ; dans les maisons de tolérance, soit au
dispensaire, ou bien elles ont dû se prêter à
tous les goûts dépravés que leur apportèrent
nos jeunes soldats, il faut même le dire, nos jeunes officiers.
Le vin, le rhum et l’absinthe ont fait le reste ».
En fait ces lupanars étaient des locaux vétustes situés
dans des quartiers crasseux à l'hygiène plus que sommaire,
ceci sans parler de la législation draconienne en vigueur
: toutes les fenêtres et les volets devaient être clos
et cadenassés, la porte donnant accès à l'établissement
devait être équipée d'un judas, seul le numéro
d'immatriculation devant figurer sur la façade ; les corridors
devaient être éclairés jour et nuit, les accès
aux terrasses fermés à clef et les prostitués
ne devaient en aucun cas être vues de l'extérieur.
Cette législation draconienne fit fleurir la prostitution
de la rue, des filles dites « insoumises » qui étaient
traquées tant par la police municipale que par le mézouar
qui considérait cette prostitution comme une concurrence.
La situation sanitaire ne faisant que se détériorer,
les maladies vénériennes décimant toujours
le corps expéditionnaire, en 1835 un nouveau décret
abroge le mézouar (qui est remplacé par un colon ayant
les mêmes attributions et obtenant la concession toujours
par adjudication), fixe les conditions d'inscription des prostituées
sur un registre et le nombre de visites mensuelles obligatoires
auprès du dispensaire. Ce décret plaça sous
la surveillance du Commissaire de Police toutes les prostituées,
et résuma toutes les obligations qui étaient imposées
aux filles et aux agents chargés de les surveiller.
Voici les principaux articles de ce décret
: « Nous, Intendant civil des possessions françaises
dans le nord de l’Afrique ; Vu les articles 10 et 46 du titre
1er, de la loi du 19-27 juillet 1791, Considérant que l’expérience
a fait reconnaître la nécessité de réviser
les règlements en vigueur, concernant les filles publiques
; avons arrêté et arrêtons ce qui suit : Article
1er. Toute fille notoirement livrée à la prostitution
sera inscrite par les soins du Commissaire de Police, chef du Bureau
central, sur un registre tenu à cet effet audit bureau. Art.
6. À dater 1er octobre prochain, toutes les femmes publiques
seront tenues de se faire visiter deux fois par mois et à
quinze jours d’intervalle pour faire constater leur état
de santé. Art. 7. Cette visite aura lieu au dispensaire.
Toutefois les femmes publiques qui désireraient se faire
visiter à leur domicile pourront en obtenir la faculté
en payant une rétribution extraordinaire de 3 francs par
visite, à titre d’honoraires, en faveur du médecin.Art.11.
Les filles publiques visitées au dispensaire et reconnues
atteintes de maladies vénériennes seront retenues
dans cet établissement pour y être mises immédiatement
en traitement. Quant à celles qui seraient visitées
dans leur domicile et qui se trouveraient dans le même, cas,
elles seront conduites au dispensaire par les soins du Commissaire
de Police. Art. 12. Pour subvenir aux dépenses qui résulteront
tant de la visite que du traitement des femmes publiques, il sera
payé pour et par chacune de ces femmes, au moment de la visite,
une rétribution de 5 francs, soit 10 francs par mois. Art.22.
Nulle fille publique ne pourra, non plus, sortir de la ville pour
se rendre dans les tribus environnantes, sans une permission écrite
du Commissaire de Police, chef du Bureau central ; la même
permission leur sera nécessaire pour aller aux fêtes
qui seraient données soit dans l’intérieur,
soit à l’extérieur de la ville. Art 24. La rétribution
à payer pour chacune des filles dont la demande sera faite
reste fixée, pour l’extérieur, à 10 francs,
et pour l’intérieur, à 5 francs ».
En se cachant derrière le subterfuge du
mal nécessaire, les médecins et les autorités
de l’époque, après s’être arrogé
le droit d’autoriser, organiser et réglementer la prostitution
essayèrent de trouver des raisons au nombre de filles publiques,
trois plus élevé à Alger qu’à
Paris : « L’institution des filles publiques est une
plaie de notre organisation sociale, une nécessité
malheureuse à laquelle il faut, se soumettre ; mais le nombre
de ces femmes est si disproportionné à Alger,…lorsqu’on
considère qu’on en compte plus de 300 sur 25,000 habitants,
tandis que Paris n’en a que 4,000 pour 900,000 habitants,
il est permis d’espérer qu’avec une administration
loyale et protectrice on en ramènera plusieurs dans le devoir,
en même temps qu’on pourra préserver la santé
publique ».
Nombre et origine
des filles publiques d’Alger (1838-1851)
|
Tableau établi
à partir des données du dispensaire d’Alger
|
Pour les filles publiques françaises et étrangères, les arguments avancés étaient que « beaucoup étaient déjà cartées en France ; d’autres, entraînées à la suite de l’armée puis abandonnées par leurs amants militaires, et pour échapper à la misère, ont pris le parti de se faire inscrire parmi les filles publiques ». Pour le grand nombre de filles indigènes, même si la misère est citée en premier, comme le signale le capitaine Pelissier : « Les propriétaires dépossédés reçurent en 1831, sous 1e gouvernement du général Berthezène, une indemnité équivalente à six mois de loyer de leurs biens. Depuis cette époque la masse de ces infortunées s’est prodigieusement accrue. Or, les indemnités qui leur sont dues s’élèvent dans ce moment à 120,000 fr. de rente. On conçoit toute la gêne qu’une pareille somme, enlevée annuellement à quelques familles peu aisées pour la plupart, a dû y laisser, en échange, de misère et de désespoir. Cependant personne n’a voulu pénétrer le secret de tant de douleurs. De pauvres enfants tendent la main, au coin des rues, aux humiliants secours de l’aumône. De malheureuses filles destinées naguère à la chasteté du nœud conjugal sont livrées par là faim à la prostitution, et personne ne s’enquiert de la cause de ces misères », on essaya quand même de trouver d’autres causes tels que, l’influence du climat, un relâchement extrême dans les mœurs, une répugnance instinctive de la femme pour les travaux manuels, le manque absolu de principes religieux, et la grande facilité accordée aux Maures de répudier leurs femmes ! « Les Mauresques plongées dès l’enfance dans la plus grande oisiveté ne rêvent qu’amour et toilette ; elles sont continuellement occupées de leur personne. Elles n’ont d’ailleurs aucun plaisir, aucunes distractions, aucun genre de récréation que nos femmes d’Europe peuvent se donner ; elles ne peuvent donc songer qu’à l’amour, c’est le seul mouvement de leur existence, la seule pâture qui soit permise à leurs facultés, à la surabondance de vie qui les tourmente dans leur retraite ; aussi concentrent-elles tout leur être sur ce point ».
Ici l’auteur distingue la femme mauresque
aux mœurs dissolues de la femme arabe pure comme la plupart
des auteurs de l’époque qui opposaient les Arabes,
peuple féodal, " très grand par ses origines
et par ses mœurs, portant sur son visage, comme un air de noblesse,
la beauté même de sa destinée ", et
les Maures, petit peuple d'artisans, de rentiers et de scribes,
" très bourgeois, un peu mesquin dans ses mœurs,
élégant, mais sans grandeur ".
Le dernier argument était également
« la précocité de la puberté en Afrique
». Cet argument permettait d’ailleurs de fermer
les yeux et d’abuser de fillettes de douze à quinze
ans dans ces maisons de tolérance. Ainsi le docteur Duchesne,
chargé de mission en 1851 dans la province d’Alger
et Membre du Conseil d’Hygiène publique et de Salubrité
pour qui « la prostitution était une nécessité
malheureuse à laquelle il fallait se soumettre »,
décrivant le rôle du mézouar dans Alger avant
1830 concluait que « Notre invasion a mis un terme à
ces actes barbares », par contre pour la prostitution
des mineures qui se développait aux premières années
de l’occupation française, il écrit : «
Quant aux filles mineures, il y aurait certainement là une
importante distinction à faire. …certaines indigènes
étaient nubiles même à douze ans ; ne serait-il
donc pas injuste d’appliquer nos lois françaises à
celles qui auraient favorisé la prostitution d’une
Mauresque, par exemple, de treize à quatorze ans, à
l’âge où elles sont quelquefois mariées
? Il est évident que pour les indigènes, au moins,
il faudra baisser la limite d’âge à laquelle
une jeune fille pourra se livrer à la prostitution ».
Ainsi pour les médecins de l’époque, une ménarchie
précoce était une condition sine qua none pour faire
de la fille mauresque une prostituée.
75 ans plus tard, J. Maury écrit sur le
journal Le Libertaire du 13 février 1925 un article qu’il
intitule La grande pitié des petites mauresques ou
le bagne d’enfants de la Casbah : « De
retour d’Alger, outré de ce que j’ai vu, je tiens
à vous le faire connaître… je veux vous dire
la vie des malheureuses mauresques qui font le commerce de leur
corps. Elles sont, hélas, en très grand nombre. Que
sont-elles ? Des filles perdues par le vice et la débauche
? Non ! Perdues par la misère et la souffrance. La plupart
orphelines, les autres abandonnées par leurs parents qui
ne peuvent les nourrir. L’Assistance publique qui fonctionne
très mal pour les Européens, ne fonctionne pas du
tout pour les indigènes. Un père, une mère
meurt, ils laissent des enfants qui sont abandonnés. Pour
les garçons, passe encore, ils cirent les chaussures, ouvrent
les portières, souvent ont des coups en guise de paiement,
mais arrivent tant bien que mal à payer leur croûte
et, le soir venu, pour vingt sous, vont coucher au bain maure. Mais
les filles, que devienne-elles sur le pavé ? À six
ans, elles mendient à la porte des restaurants, elles attendent
que tout le monde soit parti pour ramasser des croûtes et
les restants des assiettes.
Certains individus leur jettent des croûtes à terre, dans la poussière ou dans la boue, comme à un chien, et s’amusent de les leur voir ramasser pour les dévorer. À dix ans, pas encore formées, elles deviennent des « frotteuses », c’est-à-dire que, trop jeunes pour accomplir l’acte sexuel, elles servent tout de même de chair à plaisir pour quelques vieux dépravés qui abusent de leur misère et leur donnent quelques sous en échange. À treize ans, elles sont en « magasin », dans un quartier nommé la Casbah, dans ces locaux infects où l’air et la lumière ne pénètrent jamais. Elles se livrent au premier venu pour la somme de un franc. Oui, vingt sous ! Certaines de ces femmes m’ont avoué avoir reçu jusqu’à trente clients dans la même journée. Dans ce milieu vivent également des familles d’ouvriers indigènes et leurs enfants grandissent sous cet exemple. Les dirigeants l’ignorent, direz-vous. Non ! Et comme remède, on les brime, on les maltraite. Dans ces rues, les agents se promènent, nerfs de bœuf aux poings, et frappent pour la moindre chose. Si ces filles sont vues en dehors des casbahs, les « mœurs » les ramassent sans motif car ils touchent trois francs par arrestation et c’est la femme elle-même qui est obligée de payer. Au dispensaire où on les détient, elles vivent dans la saleté, sans hygiène, rouées de coups par les infirmières et le directeur, et mises au cachot et au pain sec pour un motif inutile. Il n’est pas rare de voir des femmes arrêtées trois fois dans la même semaine. Dame ! Cela fait neuf francs pour les mœurs, qui, pour gagner ces primes, raccrochent des jeunesses innocentes, les conduisent à l’hôtel, et là, les arrêtent en flagrant délit de racolage. Tout cela au nom de la morale et pour la gloire du pays. Saluez, c’est la civilisation française qui passe !».
Certains individus leur jettent des croûtes à terre, dans la poussière ou dans la boue, comme à un chien, et s’amusent de les leur voir ramasser pour les dévorer. À dix ans, pas encore formées, elles deviennent des « frotteuses », c’est-à-dire que, trop jeunes pour accomplir l’acte sexuel, elles servent tout de même de chair à plaisir pour quelques vieux dépravés qui abusent de leur misère et leur donnent quelques sous en échange. À treize ans, elles sont en « magasin », dans un quartier nommé la Casbah, dans ces locaux infects où l’air et la lumière ne pénètrent jamais. Elles se livrent au premier venu pour la somme de un franc. Oui, vingt sous ! Certaines de ces femmes m’ont avoué avoir reçu jusqu’à trente clients dans la même journée. Dans ce milieu vivent également des familles d’ouvriers indigènes et leurs enfants grandissent sous cet exemple. Les dirigeants l’ignorent, direz-vous. Non ! Et comme remède, on les brime, on les maltraite. Dans ces rues, les agents se promènent, nerfs de bœuf aux poings, et frappent pour la moindre chose. Si ces filles sont vues en dehors des casbahs, les « mœurs » les ramassent sans motif car ils touchent trois francs par arrestation et c’est la femme elle-même qui est obligée de payer. Au dispensaire où on les détient, elles vivent dans la saleté, sans hygiène, rouées de coups par les infirmières et le directeur, et mises au cachot et au pain sec pour un motif inutile. Il n’est pas rare de voir des femmes arrêtées trois fois dans la même semaine. Dame ! Cela fait neuf francs pour les mœurs, qui, pour gagner ces primes, raccrochent des jeunesses innocentes, les conduisent à l’hôtel, et là, les arrêtent en flagrant délit de racolage. Tout cela au nom de la morale et pour la gloire du pays. Saluez, c’est la civilisation française qui passe !».
Cette civilisation qui a condamnée le harem
oriental comme lieu de séquestration de la femme, a créé
des lieux de dépravation, de séquestration et de confinement
de la femme mauresque, inconnus jusqu alors sur la terre d’Algérie.
C’est donc ainsi qu’au fur et à mesure que l’armée
française occupait les villes et installait ses garnisons,
dans le cadre de « la pacification » du pays, la prostitution,
indissociable de la misère et de la pauvreté, était
développée et rationalisée dans le cadre de
ces maisons de tolérance, et comme l’écrit Wassyla
Tamzali, ex-directrice des droits des femmes à l'UNESCO «
Au même titre que l'utilisation de la faim comme arme de guerre,
le viol massif et systématique des populations civiles femmes
et enfants en temps de conflits.» est une caractéristique
des armées d’occupation. Le 30 juin 1853, la commission
municipale d'Alger décide que la prostitution ne pourra s'exercer
uniquement qu'en maisons de tolérance, la Police Municipale
devant se montrer vigilante vis à vis de la prostitution
de la rue. Cette décision fera grossir la prostitution clandestine.
En 1859, Alger comptait 14 maisons de tolérance, en 1905,
17 étaient réservées aux indigènes et
15 aux européens ; En 1930 l'Algérie comptait 68 maisons
closes tenues par des européens, 22 dans le département
d'Alger, 28 dans celui de Constantine et 18 dans celui d'Oran.
D’une manière générale
les maisons closes se situaient dans les principales villes de garnison
mais dans les quartiers à forte population musulmane pour
éviter de choquer la population d’origine européenne.
Pour Alger, outre les quartiers qui leurs étaient assignés
avant l’occupation, du fait du nombre beaucoup plus important
des filles, d’autres rues et quartiers de la partie haute
de la casbah furent également utilisés côtoyant
les habitations de la population indigène au point où
l’inscription « Maison honnête » au frontispice
des maisons devenait nécessaire pour indiquer la frontière
à ne pas franchir. Des maisons de tolérance s ‘ouvrirent
même aux alentours de la rue Bab El Oued et de la rue de Chartes
où habitaient la population européenne, ce qui entraînait
parfois des plaintes auprès des autorités. Une maison
de tolérance fut même ouverte à la rue Renée
Caillée où en 1857 on installa la première
école de médecine. En 1942, la police des moeurs répertoriait
46 bordels, 79 hôtels, 600 meublés et une centaine
de maisons clandestines.
Ce nombre est resté pratiquement stationnaire
jusqu’à l’indépendance du pays alors qu’en
Europe et en particulier en Grande-Bretagne une grande croisade
était lancée dès 1869 par Joséphine
Butler pour mettre fin au système de la réglementation.
En France, après la décision de fermeture des maisons
de tolérance à Grenoble en 1930, le mouvement abolitionniste
demande l’ouverture d’enquêtes à propos
des abus et sévices commis par les soldats sur les femmes
employées dans les Hôtels de passe ambulants, les BMC
mis en place par le commandement militaire pendant la libération
du territoire à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et
employant des femmes recrutées dans les colonies
d’Afrique du Nord. L'époque s'y prêtait
bien : à Paris, on tondait en public la tête aux «
traîtresses » coupables d'avoir pratiqué la «
collaboration horizontale » avec les allemands et même
aux prostituées coupables d'avoir exercé le plus vieux
métier du monde pour une clientèle de soldats de la
Wehrmacht.
Dans ce contexte, la loi « Marthe Richard
» (du nom d’une ancienne prostituée) votée
en France en 1946, interdit les maisons closes, et un an après
la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 est rédigée
sous l’égide des Nations Unies, la Convention pour
la répression de la traite des êtres humains et de
l’exploitation de la prostitution d’autrui dite Convention
du 2 décembre 1949.Cette convention qui vise à punir
à la fois l’esclavage sexuel résultant des trafics
et qui déclare « la prostitution et le mal qui
l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains
en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité
et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être
de l’individu, de la famille et de la communauté »
n’est ratifiée par De Gaulle qu’en 1960 ( et
par l’Algérie indépendante en 1963 ). L’Algérie
n’est de ce fait pas concernée par ce mouvement (comme
le souligne C. Tarraud, 1946 a sonné la fin des maisons
closes, sauf dans les colonies car il y avait un état de
civilisation inférieur dans ces pays !), mieux encore,
les bordels militaires de campagne (B.M.C.), sous l’autorité
de l’armée, au nombre de 9, continuaient de suivre
les troupes en campagne. Ces BMC vont durer jusqu’à
la période un peu après les accords d’Evian
(Dans l’armée, la prostitution était traitée
dans le chapitre « action psychologique en faveur de la troupe
»). Durant la guerre de libération plusieurs filles
prostituées, prenant conscience de leur exploitation, aidèrent
le FLN en particulier durant la bataille d’Alger. L’OAS,
convaincue que les souteneurs de ces maisons closes finançaient
le FLN, les pris pour cibles.
…Du mythe des filles Ouled Naïl
Prévoyant d’étendre leur domination
jusqu’au Sahara algérien, les autorités coloniales
décident dès les années 1850 d’ «
organiser des dispensaires dans ces contrées et d’établir,
sous le rapport de la prostitution, les mœurs de ces tribus
sahariennes ». Cette conquête des territoires du
sud, rencontra bien sûr une vive résistance des populations
autochtones, résistance qui sera durement réprimée
aboutissant comme dans le nord du pays à l’expropriation
des terres, le travail forcé, la famine et la déstructuration
socioculturelle des populations arabes. Le processus de dépossession
foncière des terres tribales et la fermeture des pâturages
va aboutir à la clochardisation d’un grand nombre de
tribus et l’on voit alors des centaines d’enfants abandonnés,
garçons et filles, proposant leurs maigres bras pour un quelconque
emploi, à la population européenne qui s’implantait
sur leurs terres.
Souvent, ils sont vendeurs de pain, marchands
ambulants, masseurs et masseuses dans les bains maures, domestiques
ou simplement vagabonds, proie facile pour la police municipale
pour remettre les filles aux matrones responsables de l’initiation
à la danse orientale telle Fatima el coptana (Fatima
la capitaine) de Bou Saada « propriétaire » d’une
maison de danseuses, réputée à l’époque.
Et comme au nord, l’armée va mettre en place ses BMC
puis des maisons de tolérance, pour « protéger
» la troupe de la propagation des maladies vénériennes.
Le mythe des filles Ouled Naïl va se développer tant
par l’armée coloniale que par les intellectuels français
(écrivains, peintres et photographes) qui suivaient la troupe.
On prétendait, à l’époque, « que
les Ouled Naïl étaient des descendants des Beni Hilal.
Ce peuple des Ouled Naïl d’une rare beauté
aux traits fins était renommé pour ses femmes d’une
grâce sans égale, danseuses qui monnayaient leurs charmes.
»
Pour la construction d’une imagerie littéraire
et iconographique au profit tant de l’armée que du
mouvement Orientaliste qui se développait au cours de ce
19ème siècle, on utilisa des danseuses prostituées
dans les différentes villes du sud pour étayer ce
mythe. Il faut se rappeler qu’en ce siècle de puritanisme
bourgeois en Europe, l’Orientalisme, sous couvert de l’art,
permettait de donner libre court aux phantasmes de l’homme
occidental. Ainsi, après la campagne napoléonienne
d’Égypte (1798-1799) et la guerre d'indépendance
de la Grèce (1821-1829), un véritable engouement pour
l'Orient apparaît en Europe. Son luxe, son mystère,
le merveilleux qui l'entourent inspirent artistes et écrivains.
Victor Hugo écrit en 1829 dans ses Orientales que
le monde islamique est " pour les intelligences autant
que pour les imaginations une préoccupation générale
".
L’imagination artistique du XIX° siècle
voyait l’Orient comme un pays habité de gens qui passaient
leur temps allongés sur des lits luxueux, dans des nuages
d’encens, entourés d’esclaves à demi nues
et de languides odalisques. La prise d'Alger par les français
en 1830 va rapprocher cet Orient fabuleux et lointain et permettre
à ces écrivains et peintres de partir à sa
découverte et de faire le voyage initiatique. Ces artistes
profitent de charges consulaires ou de missions « scientifiques
» pour faire le voyage d’Algérie. Eugène
Delacroix, un des grands peintres de l’époque, se voit
proposer d’accompagner le comte Charles de Mornay, envoyé
de Louis-Philippe au Maroc. Il séjournera à Alger
du 25 au 28 juin 1832 et de cette halte naîtra Femmes
d’Alger dans leur appartement.
Cette œuvre eut une influence considérable
sur tout l’art du XIXe siècle. Exposé dès
1834 à Paris, ce tableau suscitera nombre d’opinions
admiratives de Renoir, "il n’y a pas de plus beau tableau
au monde", de Cézanne, "ces roses pâles
et ces coussins brodés, cette babouche, toute cette limpidité,
je ne sais pas moi, vous entrent dans l’œil comme un
verre de vin dans le gosier, et on en est tout de suite ivre",
et de Théophile Gautier, "les Femmes d’Alger
ne le cèdent, pour la finesse et le clair-obscur, à
aucune production vénitienne" Près d’un
siècle et demi plus tard, la romancière et académicienne
algérienne Assia Djebar fait remarquer que "En 1832,
dans Alger récemment conquise, Delacroix s’introduit
quelques heures dans un harem. Il en rapporte un chef-d’oeuvre,
Femmes d’Alger dans leur appartement…si le tableau de
Delacroix inconsciemment fascine, ce n’est pas en fait pour
cet Orient superficiel qu’il propose, dans une pénombre
de luxe et de silence, mais parce que, nous mettant devant ces femmes
en position de regard, il nous rappelle qu’ordinairement nous
n’en avons pas le droit. Ce tableau lui-même est un
regard volé" (in Femmes d’Alger dans
leur appartement, 1980). En 1996, Rachid Boudjedra estime pour
sa part que Delacroix "portait sur cette réalité
algérienne un regard de pacotille et de bimbeloterie. Nous
sommes en 1834. Le canon tonne et Alger est à feu et à
sang. L’intimité de ce gynécée, même
si le tableau est-en soi- d’une très belle facture,
a quelque chose de gênant et de faux" (in Peindre
l’Orient).
Delacroix, Femmes
d’Alger dans leur appartement 1834
|
Zangaki., Groupe
de femmes de harem- 1870
|
Après Delacroix, Eugène Fromentin
fera trois longs séjours en Algérie en 1846, 1848
et 1852. Sa perception de "l’Orient maghrébin"qu’il
relatera dans ses deux romans Un été dans le Sahara
(1857) et Une année dans le Sahel (1859) diffèrera
de celle des autres artistes peintres pour qui, la femme tient dans
la peinture une place fondamentale tant dans les scènes quotidiennes
que dans les scènes de harem, lieu énigmatique attisant
l’imagination : les odalisques, les almées couchées
sur de somptueux tapis, éventées par des eunuques,
parées de voiles transparents et de bijoux présentent
un caractère sensuel voire érotique. Il est de même
fréquent de traiter la femme oisive au bain maure ; autre
lieu des délices, le bain permet au peintre de travailler
ses nus dans des poses nonchalantes et équivoques. La représentation
de la femme orientale dans ces différents éléments
fait pénétrer dans une atmosphère de permissivité.Pour
Christine Peltre, auteur d’un ouvrage sur Les Orientalistes
"...Tous n’ont pas, en effet, l’intelligence et
la pudeur de Fromentin" qui pouvait noter : "Pénétrer
plus avant qu’il n’est permis dans la vie arabe me semble
une curiosité mal entendue. Il faut regarder ce peuple à
la distance où il lui convient de se montrer : les hommes
de près, les femmes de loin ; la chambre à coucher
et la mosquée, jamais..."
Femmes orientales
|
Le Harem
|
Dans les années 1870, le peintre Ferdinand
Roybet séjourne en Algérie et peint des scènes
orientalistes (odalisques, femmes au harem, etc...). En 1882 et
1883 c’est au tour de Renoir ; il peindra plusieurs odalisques
et maternité algériennes. Puis ce fut Albert Gabriel
Rigolot, qui connaîtra le mouvement orientaliste lors de son
séjour en Algérie en 1896. En 1900, il participe à
l'Exposition Universelle avec le tableau ‘’ Sur
la route de Kardada à Bou-Sâada’’.
En 1906, c’est Matisse qui séjourne en Algérie
où il est « vivement impressionné...».Son
séjour lui inspirera plusieurs œuvres dont la série
des Nu bleu (1907), souvenir de Biskra (1907),
L’Algérienne (1909). A sa disparition, Picasso
réalisera une quinzaine de version de Femmes d’Alger
sans avoir mis les pieds dans cette ville. A son sujet, Assia Djebar
écrira : « En les peignant nues et inondées
de lumière, Picasso a libéré les Femmes d’Alger
de la posture de belles de harem chez Delacroix». En
1946, Théodore Chassériau séjournera deux mois
en Algérie et peindra le tableau ‘’ les femmes
d’Alger ‘’. De son séjour, il dira
avoir :"vu des choses bien curieuses, primitives et éblouissantes,
touchantes et singulières... je vis dans les Mille et Une
Nuits...". Durant ces années de conquête
et de pacification de l’Algérie, les orientalistes
par l’intermédiaire du mythe des Ouled Naïl, vont
marquer durablement la littérature et la peinture du 19ème
siècle.
Femmes d’Alger
- Pablo Picasso-1955
|
Chassériau
|
Ferhati Barkahoum écrit dans ‘’La
danseuse prostituée dite « Ouled Naïl »,
entre mythe et réalité (1830-1962)’’
qu’en 1845, au moment où elle a commencé à
être colonisée, la cité de Bou-Saâda abritait
une population de 50 000 personnes, dont l’activité
principale s’articulait autour du commerce des laines. Elle
reçut alors une garnison de plus de 500 hommes. Autour de
beit el kabira, installée sur les berges de l’oued,
vont s’établir peu à peu des maisons de tolérance.
Elles formèrent la rue de la « tolérance »,
appelée communément la « rue des Ouled Naïl
». Au mezouard, agent désigné au temps du beylik
pour assurer la surveillance des filles publiques et lever l’impôt,
l’administration coloniale imposera la réglementation
et la police des mœurs à partir de 1850. Au cours des
années 1930, l’urbanisation et l’euphorie touristique
aidant, la topographie de la prostitution va, dès lors, se
modifier.
On affecta alors aux filles publiques un lieu
spécifique, appelé « l’Asile des Naïlia
» qu’on installa sur la place, bordée d’un
côté par les boutiques indigènes, de l’autre
par le Commissariat de police et la « grande maison ».
Il existait plusieurs cabarets très prisés des touristes
où les danseuses se produisaient, d'abord habillées
puis en tenues légères exhibant leurs bijoux, l'orchestre
traditionnel qui les accompagnaient jouaient la face au mur y compris
le violoniste qui était aveugle, ce qui n'empêchait
pas toute la troupe de se retrouver le spectacle terminé
dans la même arrière-salle faisant office de vestiaire...
La prise de Biskra, en 1844, puis celle de Touggourt à partir
de 1871 imposa également aux filles qui faisaient métier
de leurs charmes la réglementation. A Touggourt c’est
en avant du faubourg d’El-Balouch qu’étaient
établi sous des tentes ces lieux de prostitution qu’on
appelait Drâ-el-Guemel (le mamelon des poux). A Ouargla, on
les retrouvait près des murs de la ville et également
sous la tente.
Concernant les filles Ouled Naïl,
Guy de Maupassant a écrit : « Boukhrari
est le premier village où l'on rencontre des Oulad-Naïl.
On est saisi de stupéfaction à l'aspect de ces courtisanes
du désert. Les rues populeuses sont pleines d'Arabes ...
Partout leurs vêtements flottants et blancs semblent augmenter
la blancheur unie des maisons. Point de taches, tout est blanc ;
et soudain une femme apparaît, debout sur une porte, avec
une large coiffure qui semble d'origine assyrienne surmontée
d'un énorme diadème d'or. Elle porte une longue robe
rouge éclatante. Ses bras et ses chevilles sont cerclés
de bracelets étincelants ; et sa figure aux lignes droites
est tatouée d'étoiles bleues. Puis en voici d'autres,
beaucoup d'autres, avec la même coiffure monumentale: une
montagne carrée qui laisse pendre de chaque côté
une grosse tresse tombant jusqu'au bas de l'oreille, puis relevée
en arrière pour se perdre de nouveau dans la masse opaque
des cheveux. Elles portent toujours des diadèmes dont quelques-uns
sont fort riches. La poitrine est noyée sous les colliers,
les médailles, les lourds bijoux ; et deux fortes chaînettes
d'argent font tomber jusqu'au bas-ventre une grosse serrure de même
métal, curieusement ciselée à jour et dont
la clef pend au bout d'une autre chaîne... Leur coiffure monumentale,
emmêlement savant et compliqué de tresses entortillées,
demande presque un jour de travail et une incroyable quantité
d'huile. C'est le soir qu'il faut les voir, quand elles dansent
au café maure.
Alors, deux Oulad-Naïl se lèvent, vont se placer aux extrémités de l'espace laissé libre entre les bancs et elles se mettent à danser. Leur danse est une marche douce que rythme un coup de talon faisant sonner les anneaux des pieds. A chacun de ces coups, le corps entier fléchit dans une sorte de boiterie méthodique ; et leurs mains, élevées et tendues à la hauteur de l'oeil, se retournent doucement à chaque retour du sautillement, avec une vive trépidation, une secousse rapide des doigts. La face un peu tournée, rigide, impassible, figée, demeure étonnamment immobile, une face de sphinx, tandis que le regard oblique reste tendu sur les ondulations de la main, comme fasciné par ce mouvement doux, que coupe sans cesse la brusque convulsion des doigts. Elles vont ainsi, l'une vers l'autre. Quand elles se rencontrent, leurs mains se touchent ; elles semblent frémir ; leurs tailles se renversent, laissant traîner un grand voile de dentelle qui va de la coiffure aux pieds.
Elles se frôlent, cambrées en arrière, comme pâmées dans un joli mouvement de colombes amoureuses. Le grand voile bat comme une aile. Puis, redressées soudain, redevenues impassibles, elles se séparent ; et chacune continue jusqu'à la ligne des spectateurs son glissement lent et boitillant. Toutes ne sont point jolies ; mais toutes sont singulièrement étranges. Et rien ne peut donner l'idée de ces Arabes accroupis au milieu desquels passent, de leur allure calme et scandée, ces filles couvertes d'or et d'étoffes flamboyantes. Quelquefois, elles varient un peu les gestes de leur danse. Ces prostituées venaient jadis d'une seule tribu, les Oulad-Naïl. Elles amassaient ainsi leur dot et retournaient ensuite se marier chez elles, après fortune faite. On ne les en estimait pas moins dans leur tribu ; c'était l'usage. Aujourd'hui, bien qu'il soit toujours admis que les filles des Oulad-Naïl aillent faire fortune au loin par ce moyen, toutes les tribus fournissent des courtisanes aux centres arabes. Elles ont, comme les filles de France, des protecteurs qui vivent de leurs fatigues. On trouve parfois au matin une d'elles au fond d'un ravin, la gorge ouverte d'un coup de couteau, dépouillée de tous ses bijoux. Un homme qu'elle aimait a disparu ; et on ne le revoit jamais. Le logement où elles reçoivent est une étroite chambre aux murs de terre. Dans les oasis, le plafond est fait simplement de roseaux tassés les uns sur les autres et où vivent des armées de scorpions. La couche se compose de tapis superposés. Les gens riches, arabes ou français, qui veulent passer une nuit de luxueuse orgie, louent jusqu'à l'aurore le bain maure avec les serviteurs du lieu. Ils boivent et mangent dans l'étuve, et modifient l'usage des divans de repos. ». Dans un autre ouvrage et parlant d’une prostituée noire, Guy de Maupassant écrit : "C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir qui avait un corps de femme... Je ne l'aimais pas -non- on n'aime point les filles de ce continent primitif. Elles sont trop prés de l'animalité humaine ; elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensibilité trop peu affinée pour éveiller dans nos âmes l'exaltation sentimentale qui est la poésie de l'amour».
Alors, deux Oulad-Naïl se lèvent, vont se placer aux extrémités de l'espace laissé libre entre les bancs et elles se mettent à danser. Leur danse est une marche douce que rythme un coup de talon faisant sonner les anneaux des pieds. A chacun de ces coups, le corps entier fléchit dans une sorte de boiterie méthodique ; et leurs mains, élevées et tendues à la hauteur de l'oeil, se retournent doucement à chaque retour du sautillement, avec une vive trépidation, une secousse rapide des doigts. La face un peu tournée, rigide, impassible, figée, demeure étonnamment immobile, une face de sphinx, tandis que le regard oblique reste tendu sur les ondulations de la main, comme fasciné par ce mouvement doux, que coupe sans cesse la brusque convulsion des doigts. Elles vont ainsi, l'une vers l'autre. Quand elles se rencontrent, leurs mains se touchent ; elles semblent frémir ; leurs tailles se renversent, laissant traîner un grand voile de dentelle qui va de la coiffure aux pieds.
Elles se frôlent, cambrées en arrière, comme pâmées dans un joli mouvement de colombes amoureuses. Le grand voile bat comme une aile. Puis, redressées soudain, redevenues impassibles, elles se séparent ; et chacune continue jusqu'à la ligne des spectateurs son glissement lent et boitillant. Toutes ne sont point jolies ; mais toutes sont singulièrement étranges. Et rien ne peut donner l'idée de ces Arabes accroupis au milieu desquels passent, de leur allure calme et scandée, ces filles couvertes d'or et d'étoffes flamboyantes. Quelquefois, elles varient un peu les gestes de leur danse. Ces prostituées venaient jadis d'une seule tribu, les Oulad-Naïl. Elles amassaient ainsi leur dot et retournaient ensuite se marier chez elles, après fortune faite. On ne les en estimait pas moins dans leur tribu ; c'était l'usage. Aujourd'hui, bien qu'il soit toujours admis que les filles des Oulad-Naïl aillent faire fortune au loin par ce moyen, toutes les tribus fournissent des courtisanes aux centres arabes. Elles ont, comme les filles de France, des protecteurs qui vivent de leurs fatigues. On trouve parfois au matin une d'elles au fond d'un ravin, la gorge ouverte d'un coup de couteau, dépouillée de tous ses bijoux. Un homme qu'elle aimait a disparu ; et on ne le revoit jamais. Le logement où elles reçoivent est une étroite chambre aux murs de terre. Dans les oasis, le plafond est fait simplement de roseaux tassés les uns sur les autres et où vivent des armées de scorpions. La couche se compose de tapis superposés. Les gens riches, arabes ou français, qui veulent passer une nuit de luxueuse orgie, louent jusqu'à l'aurore le bain maure avec les serviteurs du lieu. Ils boivent et mangent dans l'étuve, et modifient l'usage des divans de repos. ». Dans un autre ouvrage et parlant d’une prostituée noire, Guy de Maupassant écrit : "C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir qui avait un corps de femme... Je ne l'aimais pas -non- on n'aime point les filles de ce continent primitif. Elles sont trop prés de l'animalité humaine ; elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensibilité trop peu affinée pour éveiller dans nos âmes l'exaltation sentimentale qui est la poésie de l'amour».
Danse des Ouled
Naïl
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Rue des Ouled Naïl
à Biskra
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« Il est à Biskra une rue bien
curieuse à visiter : e'est la rue des Ouled-Naïls ou
Filles du Désert. Ce sont elles qui exécutent si bien
la fameuse danse du ventre qui a fait courir tout Paris pendant
la dernière Exposition Universelle. Cette rue, longue de
quelques centaines de mètres, est habitée exclusivement
par les Ouled-Naïls. Elles ont chacune leur maison qui possède
un petit balcon sur lequel elles font sécher leur linge ;
à la porte se trouve un banc de bois où elles s'asseyent
pour faire un brin de causette avec leurs voisines. »
Léon Roches dans son ouvrage ‘’ Dix ans à travers l'Islam ‘’écrit quant à lui : « Près d'eux, en face de nous, sont assises quelques Ouled-Naïls dans leurs vêtements de parade : longues tuniques de mousselines blanches ou bleues, d'un bleu pâle et criard, comme aiment en porter les paysannes de France les jours de foire et de procession. Mais ces danseuses n'ont que ce point de commun avec les « Enfants de Marie ». Au repos cependant leur maintien est d'une parfaite correction et même lorsque, en dansant, elles miment les gestes les plus précis de l'amour, leur visage demeure d'une impassibilité absolue….Aussitôt l'une de ces demoiselles se lève, faisant bruire les multiples bracelets de ses chevilles et de ses avant-bras, le bandeau de sequins qui barre son front, sous une coiffure en filigrane d'argent ou d'or. Ses pieds menus accélèrent la cadence sur le tapis de haute laine, et ce frémissement monte le long des jambes, s'amplifie au bassin en vagues de volupté, et vient mourir le long des bras levés, au-dessus de la tête immobile, dans le tremblement des doigts minces qui agitent un mouchoir de soie, ondoyant et diapré comme une flamme…Le bachaga doit connaître les goûts des Européens, car les danseuses qu'il a choisies sont minces, jeunes…».
Assia Djebbar (1967) lors de la sortie
de son livre “les Alouettes naïves“ écrit
: « les danseuses des Ouled-Naïl en Algérie
près de Bou-Saada étaient appelées par les
soldats français « Alouettes naïves ». Je
demandai un jour à Jacques Berque les raisons de ce surnom.
Il m’expliqua qu’il ne s’agissait que d’une
déformation de prononciation, ouled donnant « alouettes
» et nail « naïves ». ... Ces danseuses-prostituées
de Bou-Saada n’existaient dans leur magie de pacotille que
pour soldats et touristes étrangers. Pourquoi ? Parce que
les guerriers de la tribu avaient auparavant léché
la poussière ; alors, dans la débâcle, ne demeurait
que cette danse, dérisoire certes, mais fidèle encore
(oh ! confusément, si faiblement) à un rythme ancien,
et à l’ombre de notre vrai style. Ombre qui a permis
à l’équivoque de déboucher sur ce surnom
joliment précieux : les « Alouettes naïves ».
L’exotisme de ce tableau de Bou-Saada correspondait à
une réalité sinistre (la prostitution des danseuses),
tout en exhalant un vague souvenir de noblesse (les Ouled-naïl
ont été autrefois une splendide tribu guerrière)
que ne pouvait percevoir l’œil étranger, mais
qu’il nous faut, nous, restituer. ».
Ce mythe des filles Ouled Naïl porte tout
le poids de son mystère et exerce une fascination telle sur
les occidentaux que Michel Martini, futur professeur d’orthopédie
de l’Algérie indépendante, écrit lors
de son premier séjour en Algérie en 1946 que le lendemain
de son arrivée à Biskra on lui « proposa
d’aller voir danser les Ouled Naïl. Il s’agit d’un
spectacle où chorégraphie et prostitution étaient
mêlées, les choses devaient faire partie d’un
tel art de vivre, de telles habitudes socioculturelles que personne
ne vint me proposer de consommer une des danseuses
... La rencontre des Ouled Naïl fut donc une pénétration
brutale dans la réalité, encore aujourd’hui
un non-dit, de la culture algérienne. Quelques heures après
mon arrivée à Alger, si ce n’est déjà
sur le bateau, on m’avait raconté, avec une insistance
que quelques années plus tard, je saurais reconnaître
comme l’expression de l’inconscient collectif d’une
société, l’histoire des Ouled Naïl : ces
filles d’une grande tribu de la région de Bou Saada,
devaient, parait-il, se prostituer avant leur mariage afin de financer
leur trousseau.
Je n’étais pas, à
cette époque, suffisamment au courant de l’importance
du mythe de la virginité et de la fidélité
conjugale des femmes chez les populations maghrébines pour
trouver cette explication invraisemblable. Mais les
problèmes de la prostitution en France me permettait d’émettre
des doutes sur la vraisemblance de cette hypothèse : comment
concilier les maladies vénériennes, les aléas
de la contraception artisanale, les stérilités consécutives
à la blennorragie et enfin les structures mentales de la
prostituée avec une coutume tribale étendue à
toute une communauté ? Un demi siècle plus tard, je
ne sais pas grand chose de plus sur l’origine de ‘’
cette rumeur’’ ».
Le souk
des femmes à Tunis par Albert Charpentier (1907) -
Il s’agit en fait du souk des esclaves.
|
Outre les peintres et les écrivains, les
photographes vont mettre à la disposition de la soldatesque
française et du colon moyen des cartes postales de jeunes
et splendides bédouines aux poses toujours très étudiées
qui fait dire à Malek Alloula, la carte postale coloniale
n’est que "l'instrument d'une opération concertée
et systématique d'avilissement d'un peuple", "le
photographe n'étant qu'un salarié anonyme du fantasme
". Parmi ces photographes, Rudolf Lehnert a été
peut être le plus grand photographe orientaliste de l’histoire.
Ses cartes exaltent l’exotisme, l’érotisme et
la prostitution. Ainsi plusieurs d’entre elles montrent de
jeunes bédouines attachées par une corde à
une colonne suggérant l’esclavage ou encore une photo
de nu où la femme dénudée reste voilée,
montrant à la fois l'interdit et sa transgression.
La réalité est en fait bien
plus amère : il ne s’agissait pas de suggestion
d’esclavage mais d’esclavage réel. L’exode
rural, causé par la misère entraînait un afflux
de populations dans les faubourgs de Biskra, Bou Saâda et
Touggourt. Parmi ces nomades rejetés, marginalisés,
« Les marchands d’esclaves de l’époque
achetaient les femmes des Ouled-Nails à prix d’or,
car ces femmes étaient très recherchées, par
une clientèle qui était prête à mettre
le bon prix pour une de ces esclaves qui égaierait leurs
vies. Les souteneurs des quartiers de tolérance, étaient
eux aussi très friands de ces grandes gagneuses d’une
grande beauté, réputées très soumises.
» Mais qu’importe la réalité ! La
prostituée, c’était déjà du roman,
déjà de la fiction et pour la "société
des honnêtes gens", une anomalie qui concernait les pauvres.
Ainsi derrière le paravent de l’exotisme, l’image
de la fille Ouled Naïl tenait essentiellement du mythe, celui
de la languide odalisque, mais au lieu et place de ces almées,
c’étaient une réalité sordide à
base de sexualité à sens unique où de pauvres
adolescentes abruties par la succession d’hommes se laissaient
prendre sans aucune réaction ni résistance, mais l’imaginaire
masculin déjà préparé ne voyait que
ce qu’il voulait voir.
De la « croisade » sociale
et hygièniste contre le péril vénérien
La lutte contre les maladies vénériennes
a pendant des siècles été une lutte contre
la prostitution et pendant des décennies, la seule arme contre
le péril vénérien a été la réglementation
de la prostitution. Pour la vénéréologie du
début du dix-neuvième siècle, la transmission
d'un virus vénérien, au sens ancien de " poison
"se faisait de la fille impure vers l’homme. Lutter efficacement
contre les maladies vénériennes propagées par
les prostituées, représentait un véritable
défi pour les médecins de l’époque. En
1886, l’Académie de Médecine, sous l’influence
d’Alfred Fournier, 1er titulaire de la chaire de dermatologie
et de syphiligraphie créée en 1879 à l’hôpital
Saint Louis à Paris, préconise un certain nombre de
mesures administratives destinées à lutter contre
l’extension des maladies vénériennes dominée
essentiellement par la surveillance de la prostitution et la surveillance
médicale dans l’armée et la marine.
On distinguait alors deux types de maladies
vénériennes : les maladies purement locales,
génitales, et les maladies systémiques dominées
par la syphilis mortelle en l'absence de traitement. Cette maladie,
avant l’ère des antibiotiques, était redoutée
car outre le chancre mou de la phase primaire, elle était
à l’origine d’éruptions cutanées
puis de paralysies et démences.
En 1816, le docteur Hahnemann écrit
: " aussi longtemps que la passion toute puissante
et sexuelle ainsi séparée de façon artificielle
du devoir moral, cherchera sa récompense dans les bras de
la prostitution commune et, comme une conséquence nécessaire,
ne manquera pas de contracter l’épidémie pernicieuse,
aussi longtemps on n’envisagera pas l’extinction d’un
tel poison transmissible...L’infection pendant un accouplement
impur s’installe pendant les premières secondes."
Pour ce médecin, les maladies vénériennes
comprenaient la sycose et la syphilis.
- La sycose comprenait les excroissances des parties génitales
et certaines gonorrhées.
Les excroissances des parties génitales survenaient plusieurs jours ou même plusieurs semaines après l’infection par le coït. Quant à la gonorrhée, il en existait deux types : l’une dépendant du miasme sycotique, ordinairement purulente et infectant l’organisme entier, l’autre ne causant qu’une irritation locale des voies urinaires et ne paraissant point pénétrer l’organisme entier. Pour la gonorrhée (ou leucorrhée), il proposait d’attendre quatre à cinq semaines avec un bon régime de vie, sans traitement médicamenteux. - La syphilis était la maladie vénérienne proprement dite, ou maladie chancreuse qui était ordinairement associée à la psore, troisième maladie miasmatique chronique.
Le symptôme local propre de la syphilis était le chancre et/ou le bubon qui survenait ordinairement du septième au quatorzième jour après un coït impur, rarement plus tôt ou plus tard. " Le chancre non expulsé vicariant fait taire la syphilis interne, et ne permet pas à la maladie vénérienne d’éclater, aussi longtemps qu’il reste à sa place sans y toucher. "" … le mercure est le seul remède qui chasse toutes les sortes d’affections vénériennes avec certitude, si bien que nous n’avons pas besoin de chercher aucun autre remède pour les maladies vénériennes. " "Le chancre est un sage signe de la bonne nature qui, quand il est compris et suivi par le médecin…rend cette maladie très facile et très sûre à guérir."
Le traitement du chancre primitif ou du bubon vrai, sans complication de psore évoluée, relevait de Mercurius vivus. Sa guérison complète s’effectuait en 15 jours. Le mercure, prescrit contre la syphilis était même considéré comme un test diagnostique parce qu'il induisait une salivation abondante, voie d'élimination des humeurs. En 1888, le traitement de la syphilis, qui devait durer entre 3 et 5 ans, comportait du protoiodure d’hydrargyre associé à une application locale d’antiseptique, suivi, les années suivantes par un traitement associant de la liqueur de Van Swieten à de l’iodure de potassium. Pendant longtemps, les vérolés étaient soumis à une diète sévère, et le service de l’hôpital qui leur était réservé s’appelait « les Diètes ». Pour le traitement de la blennorragie, on faisait appel à diverses tisanes tempérantes et à des poudres voire à des injections comportant de la liqueur de Van Swieten ou du Tannin.
Ricord, syphiligraphe et fin clinicien démontre, dans ses ouvrages des années 1835-1840, l’intérêt de l'examen gynécologique utilisant le spéculum et la différence entre la gonorrhée et la syphilis. Il écrit : « Le chancre induré est indolent, suppure peu, s'accompagne de ganglions peu volumineux et sans réaction inflammatoire. Le chancre mou est ulcéreux, phagédénique même, et le pus qu'il secrète en abondance est indéfiniment inoculable au porteur. Au premier, succède fatalement l'infection constitutionnelle dont la guérison n'est obtenue que par le mercure, tandis que le second, accident purement local, n'exige pour se cicatriser que l'emploi de topiques ".
Joseph Rollet, en 1854, précisera que les lésions de la syphilis secondaire étaient contagieuses (cas de transmission de la mère au fœtus et de nouveau-nés à des nourrices). Une tentative de vaccination anti-syphilitique a donné lieu à ce que l’on a appelé la syphilisation, oeuvre du docteur Auzias-Turenne. Selon ce médecin, la syphilisation est un état physiologique dans lequel l'organisme, ayant épuisé sa réceptivité pour le virus syphilitique, n'est plus apte à subir l'évolution de la syphilis. Cet état est obtenu par des inoculations successives de chancres qui devaient permettre une vaccination préventive de la syphilis, sur le modèle de l'inoculation de la variole bénigne qui protège contre la variole.
En 1893, Charles Nicolle présente sa thèse sur le chancre mou dont le bacille responsable avait été découvert par Ducrey en 1889. En 1899 a lieu la 1ère conférence internationale pour la prophylaxie de la Syphilis et des maladies vénériennes à Bruxelles. En cette fin de siècle, si les connaissances médicales sur les maladies vénériennes progressent grâce, en particulier à l’œuvre du docteur Alfred Fournier à Paris qui affirme l’origine syphilitique du tabès et de la Paralysie Générale, et grâce aux travaux des microbiologistes, avec la découverte du gonocoque par Neisser en 1879, les médecins restent limités sur le plan thérapeutique d’où le renforcement de la lutte contre la prostitution qui va se traduire en 1901 par la création de la société française de prophylaxie sanitaire et de la ligue nationale française contre le péril vénérien à l’initiative d’ Alfred Fournier.
Les progrès réellement décisifs dans la connaissance des maladies vénériennes datent de la fin du dix-neuvième siècle et surtout du vingtième siècle : outre l’isolement du tréponème de la syphilis par Schaudinn et Hoffmann en 1905 et la mise au point de tests sérologiques : réaction de Bordet-Wassermann en 1906, c’est surtout la découverte de l'efficacité de la pénicilline en 1943 (Mahoney, Arnold et Harris) qui va renforcer l’arsenal thérapeutique limité pendant des décennies aux dérivés arsenicaux, bismuthiques et mercuriels. L’efficacité de la pénicilline dans le traitement de la gonococcie et dans celui de la syphilis révolutionna la prise en charge de ces maladies qui jusqu’alors nécessitaient un traitement de longue haleine. De plus, son efficacité dans le traitement des femmes enceintes syphilitiques, permit d’éloigner le spectre de la syphilis congénitale.
Des maladies vénériennes chez les soldats du contingent en Algérie
Pour connaître l’influence qu’a eu la réglementation de la prostitution au nom de la santé publique, il suffit d’analyser les tableaux dressés à ce sujet au niveau des dispensaires à Alger et dans les autres villes du pays ainsi que les statistiques des militaires hospitalisés pour maladies vénériennes.
En 1860, il y avait en Algérie 44 garnisons.
Le nombre total de militaires hospitalisés pour maladies
vénériennes dans 14 garnisons de l’Algérie
était :
- 1858 : 2158 (dont 987 à Alger)
- 1859 : 2890 (dont 874 à Alger)
- 1860 : 2600 (dont 868 à Alger)
Le dispensaire d’Alger créé par l’arrêté du 14 août 1830 et qui ne servait qu’au traitement de la syphilis chez les filles publiques disposait « en décembre 1837 de 4 lits et de 26 matelas dégradés, aussi les filles que leur situation maladive rendait plus dignes d’intérêt, couchaient-elles par terre ….. Aussitôt qu’une ville avait cédé à la force de nos armes, on s’empressait d’y créer de semblables établissements, ou du moins des salles détachées des hôpitaux militaires pour y recevoir les filles publiques ».
Toutes les filles étaient tenues de s’y faire inscrire et de s’y pourvoir d’un livret. Elles étaient obligées de se présenter une fois par semaine au dispensaire et de payer une rétribution mensuelle de 5 fr. Le dispensaire était placé sous l’autorité du maire mais l’impôt était perçu par le commissariat de police. Connaissant la difficulté de déceler les signes cliniques de la syphilis et de la blennorragie, et les examens de laboratoire indispensables pour confirmer un diagnostic (examens qui à l’époque n’étaient pas encore mis au point ), force est de reconnaître que la visite médicale n’était souvent qu’une simple formalité administrative, les prostituées, examinées en série, étaient expédiées en un tour de main et avec un tel manque de soin que cet examen pouvait même propager les infections d’une femme à l’autre.
Ce dispensaire accueillait les vénériennes de tout le département d’Alger. Son personnel aux premières années d’activité était composé d’un économe, un médecin, un homme de peine et un portier. Les filles publiques payaient au dispensaire 5 fr. par quinzaine mais pour ne pas aller à la visite médicale, la police recevait une rétribution qui varie de 5 fr. à 20 fr de chaque fille malade. On imagine ainsi les résultats de cette prise en charge des maladies vénériennes en Algérie où le dispensaire d’Alger était considéré comme étant le plus organisé. Dans les autres villes, les salles des filles publiques étaient installées pour la plupart dans les hôpitaux militaires.
Affections
vénériennes traitées dans le dispensaire
d’Alger
Années : 2ème semestre 1849-année 1850 - 1er semestre 1851 |
En 1895, à l’hôpital Mustapha est installé une clinique de 104 lits pour « les maladies des pays chauds, cutanées et syphilitiques » dont une baraque pour l’hospitalisation des femmes. Cette clinique sera dirigée par le professeur Brault de 1904 à 1910 puis par le professeur Cambillet auquel succèdera le docteur Montpellier de 1910 à 1918.
A la fin de la première guerre mondiale, le professeur Maurice Raynaud prendra en charge cette clinique où il exercera pendant une trentaine d’années aidés par les docteurs Béraud, Colonieu, Hadida, Imbert, Marill, Huguenin Robert et Robert D’Eshougues.
Le professeur Elie Hadida, élève de Raynaud le remplacera en 1949. Il est considéré comme le père de la dermatologie-syphiligraphie en Algérie. En 1959, à l’occasion du 10ème Congrès de l’Association des Dermatologues et Syphiligraphes de langue Française, sera inaugurée l’actuelle clinique de dermatologie, modèle du genre avec un laboratoire de sérologie de la syphilis, une animalerie, un laboratoire d’histopathologie etc.
La réglementation de la prostitution était condamnée par une grande partie du corps médical et au Congrès international de la Société de prophylaxie tenu à Bruxelles en 1899, elle était considérée comme illusoire, dangereuse même au point de vue de la sécurité mensongère qu’elle crée. Une année auparavant, c’est le professeur J.-L Chaufleury von Iyssenlstein qui, dans la Revue de morale progressive du mois d’août 1889, écrit : « Une visite médicale, si minutieuse soit-elle, n’offre aucune garantie sérieuse contre la contagion. Une prostituée sûre n’existe pas. Toute contagion qui a lieu dans les maisons contrôlées par les autorités est une preuve de l’inefficacité du système de la visite sanitaire ; elle engage de la manière la plus grave la responsabilité de ceux qui ont ordonné la visite et de ceux qui l’ont faite ».
Pour sa part le docteur Mauriac écrivait : «Je trouve monstrueux qu’on dise que toute femme qui fait commerce de son corps doive être soumises à certaines servitudes, à certaines mesures permettant de contrôler la qualité de la marchandise et de protéger le consommateur, alors que le consommateur n’est astreint à aucune servitude, à aucune mesure propre à garantir la marchandise ». Dans le même ordre d’idée, Noëlle Drous dans son livre ‘’ De la prostitution’’ écrit en 1922 : « Tandis qu’on exige d’elles, le passage à une visite médicale, tous les huit jours, pas la plus petite garantie n’est requise du côté masculin. Il arrive dès alors ceci que l’homme peut, à son gré, se faire le véhicule de toutes les maladies, contaminer ces malheureuses qui, entrées saines au service public, n’en sortent que pour entrer à l’hôpital dans la plupart des cas. ». En 1936, lors d’une réunion de la Société Française de Dermatologie et de Syphiligraphie, le docteur Marcel Pinard terminait sa communication par ces mots : « Les maisons de tolérance sont le point de départ de véritables épidémies et l’argument de sécurité, invoqué en leur faveur, est singulièrement usurpé ».
Si les maisons de tolérance et la réglementation de la prostitution ont été maintenues en Algérie, ce n’est pas tant pour des arguments hygiéniques et de salubrité publique mais comme le dit si bien C. Tarraud, « Le règlement dans le domaine sexuel est le bras armé de la violence coloniale. C’est pourquoi l’indépendance mettra fin à ces quartiers et à ces maisons de tolérance. Il y aura un essai de revenir à l’état antérieur et de rendre la prostitution à nouveau invisible. »
… en Algérie après l’indépendance aussi…
« La prostitution est devenue telle qu’on ne peut l’esquiver. Elle « dérange » en devenant trop visible. La présence importante de jeunes adolescentes à peine sorties de l'enfance poussée par la misère que l’on trouve dans des cabarets des petites villes de la côte Est encore hier plongées dans un provincialisme de bon aloi, femmes S.D.F et prostrées dans leur dénuement et l'abandon de tout espoir accroupies dans les centres-villes, toutes ces images et bien d’autres encore nous dissent que la prostitution massive s'installe. ». De nombreuses villes algériennes sont encore régies par les vielles lois coloniales de mise en carte et de surveillance des femmes prostituées dans des maisons closes qui les réduisent à l’état de bétail. Après les années 80 écrit Oukaci (In La prostitution des enfants en Algérie, Le bouclier 2006) les autorités n´ont pratiquement plus donné d´importance au phénomène de la prostitution. Pire, ils ont procédé, sous la pression de la montée de l´islamisme, à la fermeture des endroits où elle était autorisée sans aucune étude ou une politique de «rechange » quant au devenir des prostituées.
Livrées à elles-mêmes, elles se sont éparpillées ici et là. Le résultat est que ce fléau s´est amplifié et ses ramifications ont touchés presque tout le territoire national. On assiste, aujourd´hui même à l´exportation «des Jeunes filles » à l´étranger : Algérie -Dubaï Via la Tunisie et la Syrie. Typiquement la prostitution s´exerce dans la rue, les boites de nuits, les hôtels, les maisons clandestines, les bars et mêmes à l´université.
Les prostituées les plus exposées sont celles qui font le trottoir ou sur les routes nationales. Tandis que les prostituées professionnelles, qualifiées aussi de prostitués de luxes et qui jouissent d´une protection d´un réseau très organisé, elles courent moins de risque. Les routes nationales Constantine-Batna, Béjaia-Setif, et Alger-zeralda étaient bordées de prostituées offrant leurs services. La prostitution est devenue conventionnellement, un moyen acceptable de gagner sa vie…..La plupart des filles impliquées dans la prostitution ont, entre 15 et 18 ans, encore que l´ont ait vu apparaître des filles de moins de 15 ans. La plupart de ces filles se sont enfuies des centres de rééducations. Dans la plupart des cas, elles se prostituent pour gagner de l´argent ou pour trouver à se loger, généralement, chez leur souteneurs, ou les femmes adultes prostituées, ayant des appartements, qui leur servent de maisons closes, et où elles peuvent recevoir, sans aucune inquiétude les quelques personnalités locales, où même nationales, pour abuser des petites filles de moins de 18 ans.
Les endroits, où opèrent ces prostituées professionnelles et leurs souteneurs sont connus par tout le monde. Depuis 1995, on constate un essor prodigieux d´hôtels de luxe, où la prostitution fleurit légalement, or il est illégal pour les filles de moins de 18 ans de travailler dans de tels endroits. Les réseaux de la prostitution sont très bien organisés, bénéficient d´une/ou des couvertures, et utilisent du matériel très perfectionné. En Juin 1999, le ministère de la solidarité a parrainé un séminaire portant sur les problèmes des jeunes filles victimes de violences avec la participation des représentants de la « société civile », des universitaires chercheurs, des juristes et des psychiatres. Les recommandations de ce séminaire, malheureusement restent, des déclarations d´intentions.
Une autre violence à laquelle fait face la femme en Algérie « depuis une décennie et demi, c’est le viol utilisé comme arme et stratégie de guerre par les groupes islamistes : punition sexuelle infligée pour rappeler à la femme et celles de son sexe, les limites de sa présence dans la sphère publique ; acte de terreur afin de décourager les femmes de poursuivre une activité minimale de survie économique …» (Samir Rekik in El Watan, 17/12/2006).
Pour en savoir plus :
- Aloulla M. Le Harem colonial. Séguier, Paris, réed. 2001.
- Aloulla M et Belkaid L. Belles Algériennes de Geiser. Marval, Paris, 2001
- Basch S. Harem impérial au XIXe siècle. Complexe Collection Histoire 2000.
- Berbrugger M. (bibliothécaire d’Alger). Lettre du 30 avril 1852.
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- Bertherand. De la prostitution à Alger, Mémoires divers, Alger. Ed. Vailland. 1859.
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L. Abid (12 janvier 2007)
http://www.santemaghreb.com/algerie/poivue47.htm
Le Sphinx sous l’oeil de la police
« Boulevard Edgar-Quinet » disent entre eux les initiés et cela suffit. Sans même préciser le numéro 31. Inutile d’en dire davantage aux chauffeurs. Ils savent. Sur la façade, un lion à tête humaine monte la garde. Le Sphinx, c’est l’Egypte à Paris, un temple de la galanterie française voué aux plaisirs, à la conversation et à la débauche. Mais de quel pharaon incarne-t-il la puissance souveraine ? Au début des années 30, le Sphinx n’est pas encore un mythe qu’il a déjà sa légende. Le décor néo-égyptien plonge les visiteurs dans un autre monde, plus près de Gizeh que de Montparnasse. L’architecte Henri Sauvage a bien fait les choses, laissant libre cours à son éclectisme Art Nouveau modernisé. Il y avait urgence à capter une clientèle fortunée exigeante dans ses fantasmes comme dans ses caprices, les expositions universelles ayant entraîné à Paris une population aussi cosmopolite que fortunée. Tout y est si bien organisé, policé, surveillé.
Tout
y est très réglementé. La préfecture n’accorde son autorisation qu’à
condition que le registre des passes soit parfaitement tenu, et le
contrôle sanitaire régulier. La propreté
est impeccable. Un médecin attitré visite régulièrement les lieux et
reçoit dans une pièce équipée en cabinet médical. Le rapport de contrôle
de la Mondaine du 10 septembre 1936 ne tarit pas d’éloges sur la haute
tenue des lieux : « Maison de premier ordre. Femmes sélectionnées. Les dames accompagnées sont admises dans l’estaminet »
La maîtresse veille à tout. Cinq sous-maîtresses font office de
contremaître, de régisseuse et d’inspectrice des travaux finis. Cinq, ce
n’est pas trop pour tenir soixante cinq femmes aux heures d’ouverture,
de 15h à 5 heures. Elles font chacune trois passes par jour en semaine,
deux le dimanche. Tarif unique : 30 francs, sans compter pourboires et
cadeaux. Le Pérou ! Dans les taules d’abattage du côté de Clichy, ça
peut aller jusqu’à la centaine par jour pour
quelques pièces. Le Sphinx est tellement chic et mondain, comme le
Chabanais et le One two two, qu’on ose à peine parler de bordel. On y
monte même de véritables spectacles pornographiques avant d’y projeter
des films du même esprit. S’il en était autrement, cela jurerait non
seulement avec le raffinement du cadre mais avec l’esprit de la
clientèle, des artistes, des publicistes, des hommes politiques, des
députés, des ministres et des gens d’affaires. En se soulageant ici, les
grands bourgeois préservent leur patrimoine.
Il faut la loi Marthe Richard du 13 avril 1946 pour que l’on ferme les maisons closes. « Plus qu’un crime, un pléonasme »
lance Arletty. Cent soixante dix sept d’entre elles doivent mettre le
clef sous la porte rien qu’à Paris. Les plus prestigieuses payent leur
succès auprès des occupants allemands. Ainsi le veut cette ancienne
prostituée devenue conseillère municipale de Paris, passant ainsi de la
petite à la grande vertu, qu’Antoine Blondin surnomme fort à propos « La
veuve qui clôt ». La maison aurait mérité d'être classée monument
historique. Ainsi, on n'aurait pas touché pas au carrelage en céramique
rouge vif de la façade, non plus qu’aux plaques en faïence « Aux belles
poules », comme disaient les pharaons du boulevard Edgar Quinet.
(Ce texte est ma modeste contribution à l'ouvrage collectif Dans
les secrets de la police. Quatre siècles d'Histoire, de crimes et de
faits divers dans les archives de la Préfecture de police (330
pages, 69 euros, L'Iconoclaste). Bruno Fuligni y a réuni les textes d'un
certain nombre d'écrivains et d'historiens auxquels il avait
auparavant communiqué des archives secrètes pour les inspirer. Un vrai
beau-livre réalisé en toute liberté pour la première fois dans les
archives policières, qu'il s'agisse des rapports et lettres mais aussi
des photos et croquis. On y croise des malfrats, des bandits, des tueurs
en série, des indics, des proxénètes et des terroristes avec et sans
guillemets. Le résultat, servi par une belle mise en page, est à la
hauteur des espérances. Riche, surprenant et passionnant).
http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/12/23/le-sphinx-sous-loeil-de-la-police/
Variations identitaires. Homosexualités juives dans la France de l’entre-deux-guerres
AuteurJérémy Guedj du même auteur
Jérémy GUEDJ est actuellement ATER en histoire contemporaine à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et membre du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC). Il prépare une thèse sur La IVe République et l’immigration et vient de publier Le Miroir des désillusions. Les Juifs de France et l’Italie fasciste (1922-1939), préface de Ralph Schor, Paris, Éd. Classiques Garnier, 2011.Résumé
Variations of Identity: Jewish homosexuality in inter-war France
For Jews who claim it, homosexuality has been a both religious and social transgression for a long time. It is important to examine this particular situation further by going back to the letter of the Torah on this issue and by examining the trajectories of particular homosexuals, whether famous or anonymous, during a particularly interesting and complex period, the inter-war years. This was not only a time of identity searching, but also of a time of rising anti-Semitism in which reviling “the homosexual Jew” was a distinct theme. This study thus reveals a little-known aspect of French Jewish history: the story of a minority within a minority.
For Jews who claim it, homosexuality has been a both religious and social transgression for a long time. It is important to examine this particular situation further by going back to the letter of the Torah on this issue and by examining the trajectories of particular homosexuals, whether famous or anonymous, during a particularly interesting and complex period, the inter-war years. This was not only a time of identity searching, but also of a time of rising anti-Semitism in which reviling “the homosexual Jew” was a distinct theme. This study thus reveals a little-known aspect of French Jewish history: the story of a minority within a minority.
PLAN DE L'ARTICLE
- L’homosexualité au prisme du judaïsme
- Juives et Juifs homosexuel(le)s à la recherche d’un compromis identitaire
- Sous le signe de Sodome. Le thème antisémite de l’« homosexualité juive »
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