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https://www.lemonde.fr/series-d-ete-2018-long-format/article/2018/08/20/cheikh-raymond-un-martyr-a-constantine_5344129_5325928.html
Cheikh Raymond, un martyr à Constantine
Enquête
Réservé à nos abonnés
Publié le 20 Août 2018
Crimes
à pleins tubes (2/6). De nombreuses figures de la musique ont été
assassinées en pleine gloire. Chaque meurtre raconte à la fois l’artiste
et son époque. En 1961, alors que la guerre d’Algérie bat son plein, le
maître juif du malouf est tué par balles sur un marché arabe de sa
ville.
Le 22 juin 1961, deux coups de feu ont brisé le rêve… Cheikh Raymond
(en bas à gauche), de son vrai nom Raymond Leyris, est mort assassiné. YOUTUBE.COM
Dans
ces moments-là, la musique leur faisait oublier la guerre. Le
couvre-feu interdisant de sortir après minuit, ils en profitaient pour
chanter et danser jusqu’au petit matin. Alors, quand le soleil se levait
sur l’Algérie, Cheikh Raymond et ses musiciens quittaient la salle en
jouant une chanson dite « d’au revoir », reprise en chœur par les
spectateurs. « Bqaou al khir… » Tant qu’un
juif, se disait-on, peut encore chanter en arabe devant un public où
se mêlent les différentes communautés, rien n’est perdu.
Et
puis, le 22 juin 1961, deux coups de feu ont brisé le rêve… Cheikh
Raymond, de son vrai nom Raymond Leyris, est mort assassiné. Dans les
semaines suivantes, les 40 000 juifs de Constantine, dont certains
vivaient depuis la nuit des temps dans cette ville du nord-est du pays,
sont partis pour un exil sans retour. Aujourd’hui, les questions
demeurent en suspens : qui a tué l’artiste le plus populaire de son
temps ? Et pourquoi ?
Crimes à pleins tubes, une série en 6 épisodes
La
première distribution des cartes n’a pas été très favorable à cet
homme, né en 1912 d’une mère chrétienne, dont la famille, provençale,
venait de débarquer en Algérie, et d’un père issu d’une vieille famille
juive de Constantine. Dès sa naissance, il est placé en nourrice dans
l’attente d’un mariage très hypothétique de ses parents. Car ici, à
l’époque, pas question de vivre ensemble sans être mariés, et impossible
aussi de s’unir en dehors de sa communauté religieuse.
« Pour réussir en musique, il faut être au-delà du meilleur, sinon cela ne sert à rien »
Raymond Leyris, musicien
Raymond Leyris, musicien
Il
a 3 ans quand son père, mobilisé dans l’armée française, est tué au
combat, en 1915. Sa mère l’abandonne alors sans demander son reste. Il
ne la reverra plus et considérera désormais ses parents adoptifs comme
son unique famille.
Les autorités
religieuses ayant accepté de fermer les yeux sur sa naissance, Raymond
est vite circoncis et fêtera sa bar-mitsva à l’âge de 13 ans. A l’école,
il souffre tout de même des remarques acides de certains de ses
coreligionnaires. « Tu n’es pas un vrai juif ! », lui lancent-ils. L’administration, elle, le considérera toujours comme un « Français de souche ».
Ainsi, en 1942, lorsque les autorités de Vichy exigeront que les juifs
d’Algérie s’inscrivent sur des fichiers spéciaux, Raymond sera rembarré
au prétexte qu’il est, lui, un « vrai Français ».
— La suite est réservée aux abonnés —
Critique
Cheikh Raymond, le martyr du Maalouf. L'assassinat du chanteur constantinois en 1961 évoqué par ses proches. «Dans le monde pied-noir», documentaire. France 2, dimanche, 23 h 05.
Cheikh Raymond, le martyr du Maalouf. L'assassinat du chanteur constantinois en 1961 évoqué par ses proches. «Dans le monde pied-noir», documentaire. France 2, dimanche, 23 h 05.
En Algérie, tuer un artiste comme Raymond Leyris a été élevé par
certains au rang d'acte politique «révolutionnaire». Entre Paris et Constantine, le cinéaste Denis Amar offre le premier témoignage télévisuel et émouvant sur un des maîtres de la musique algérienne de ce siècle, dont l'assassinat, le 21 juin 1961, a déchiré la coexistence communautaire d'une ville. Constantine, cité enclavée, soudée par une musique andalouse (le Maalouf, genre citadin du Maghreb qui a su intégrer les influences rurales de ses environs), avait pour cheikh (maître) un homme né d'une mère chrétienne, adopté par une famille juive et considéré par les musulmans comme leur âme. Si le documentaire ne réussit pas bien à montrer en quoi Raymond Leyris fut un interprète hors pair du Maalouf, il pose clairement une question essentielle qui, des deux côtés de la Méditerranée, mine l'imaginaire constantinois: comment, dans cette ville d'artisans, de notables, de fonctionnaires et d'ouvriers aux origines multiconfessionnelles, a-t-on pu abattre l'artiste, qui a accompagné les circoncisions et mariages des uns et des autres? Le moment fort reste le témoignage des filles de Cheikh Raymond qui, en racontant minute par minute la disparition de leur père, se propulsent dans la tourmente qui rogne l'Algérie d'aujourd'hui. Enrico Macias (le beau-fils du maître) tient le rôle de fil conducteur du documentaire. Il décrit son adolescence comme virtuose de la guitare dans l'orchestre du maître, et comment il rend aujourd'hui public cet héritage (un concert est prévu au mois de mars à Constantine). Le professeur Raphaël Draï, premier universitaire constantinois a avoir, dans les années 70, commencé à faire revivre dans l'exil et par des écrits la mémoire de Cheikh Raymond (1), avertit clairement: «Constantine, c'est la plus improbable des villes au monde. Car elle a été cassée quatre fois. Par deux fleuves, par les conquérants, par les Français"» et par l'assassinat de Cheikh Raymond.
(1) Des enregistrements de ce dernier sont ressortis en 1995 sur le label Al Sur et avec l'aide de la fondation Emile-Cohen.
certains au rang d'acte politique «révolutionnaire». Entre Paris et Constantine, le cinéaste Denis Amar offre le premier témoignage télévisuel et émouvant sur un des maîtres de la musique algérienne de ce siècle, dont l'assassinat, le 21 juin 1961, a déchiré la coexistence communautaire d'une ville. Constantine, cité enclavée, soudée par une musique andalouse (le Maalouf, genre citadin du Maghreb qui a su intégrer les influences rurales de ses environs), avait pour cheikh (maître) un homme né d'une mère chrétienne, adopté par une famille juive et considéré par les musulmans comme leur âme. Si le documentaire ne réussit pas bien à montrer en quoi Raymond Leyris fut un interprète hors pair du Maalouf, il pose clairement une question essentielle qui, des deux côtés de la Méditerranée, mine l'imaginaire constantinois: comment, dans cette ville d'artisans, de notables, de fonctionnaires et d'ouvriers aux origines multiconfessionnelles, a-t-on pu abattre l'artiste, qui a accompagné les circoncisions et mariages des uns et des autres? Le moment fort reste le témoignage des filles de Cheikh Raymond qui, en racontant minute par minute la disparition de leur père, se propulsent dans la tourmente qui rogne l'Algérie d'aujourd'hui. Enrico Macias (le beau-fils du maître) tient le rôle de fil conducteur du documentaire. Il décrit son adolescence comme virtuose de la guitare dans l'orchestre du maître, et comment il rend aujourd'hui public cet héritage (un concert est prévu au mois de mars à Constantine). Le professeur Raphaël Draï, premier universitaire constantinois a avoir, dans les années 70, commencé à faire revivre dans l'exil et par des écrits la mémoire de Cheikh Raymond (1), avertit clairement: «Constantine, c'est la plus improbable des villes au monde. Car elle a été cassée quatre fois. Par deux fleuves, par les conquérants, par les Français"» et par l'assassinat de Cheikh Raymond.
(1) Des enregistrements de ce dernier sont ressortis en 1995 sur le label Al Sur et avec l'aide de la fondation Emile-Cohen.
Raymond Leyris
a été abattu aux environs de midi, le 21 juin 1961, à l’entrée du
populaire marché de « Souq El Assar », non loin de la grande synagogue
de la ville, et l’arme du meurtrier était munie d’un silencieux (...) En
janvier 1961, Raymond Leyris avait
voté « oui », et appelé ses proches à le faire, au référendum organisé
par le Général de Gaulle sur sa politique algérienne. « Il faut voter
oui pour récupérer nos racines », témoigne l’un des ses proches.
http://taoufikmalouf.free.fr/parutions/articleslemonde.pdf
http://www.liberation.fr/medias/2000/02/05/cheikh-raymond-le-martyr-du-maalouf-l-assassinat-du-chanteur-constantinois-en-1961-evoque-par-ses-pr_316441
http://www.reporters-dz.com/item/100876-evocation-la-seconde-mort-de-raymond
https://www.lemonde.fr/musiques/article/2018/01/26/selection-livre-les-musiques-de-l-algerie-par-le-chanteur-taoufik-bestandji_5247809_1654986.html
Evocation : La seconde mort de Raymond
Écrit par Abdelmadjid Merdaci
Dans une série d’été consacrée aux artistes assassinés, le quotidien
français Le Monde a récemment publié, sous la signature de José Marie
Frolon, un article sur Raymond Leyris titré « Raymond, le martyr de
Constantine ». Le constat premier est que l’auteur reconduit sans
informations ni éclairages nouveaux l’entreprise récurrente en France – à
l’exemple du documentaire de Denis Ammar, diffusé par la Chaîne France 2
en 2002- de convoquer Raymond, moins pour rendre réellement justice à son talent que pour réactiver, entre autres, les thèses d’une victimisation de la communauté juive algérienne.
en 2002- de convoquer Raymond, moins pour rendre réellement justice à son talent que pour réactiver, entre autres, les thèses d’une victimisation de la communauté juive algérienne.
Raymond Leyris a été abattu aux environs de midi, le 21 juin 1961, à
l’entrée du populaire marché de « Souq El Assar », non loin de la grande
synagogue de la ville, et l’arme du meurtrier était munie d’un
silencieux.
Mostefa Boutemira, chef de la Zone V de Constantine –dont les mémoires sont attendues avec un grand intérêt- affirme dans son témoignage que le FLN, dont il était le premier responsable, n’avait en aucune manière ordonné l’opération qui avait visé Raymond. Il ajoute : «Ce jour-là, j’étais descendu en ville pour une inspection et le principe était, dans pareilles circonstances, de ne programmer aucune action pour éviter la sortie des services de sécurité français. » Les documents existent, notamment les recommandations écrites du commandant Si Messaoud Boudjeriou, membre du commandement de la Wilaya II, sur l’importance des liens avec les européens libéraux et la communauté juive, et il y a lieu de rappeler la soumission de toute opération visant notamment une personnalité à l’accord formel du chef de Zone. Le constat a, par ailleurs, été largement fait, que le silencieux ne faisait pas partie de l’armement des fidayin du FLN, ouvrant ainsi légitimement droit aux questions de savoir qui a décidé de l’exécution et à quelles fins. Cela, d’autant plus que le FLN, à Constantine, n’hésitait pas à revendiquer clairement ses responsabilités comme cela avait été notamment, en mars 1956, avec l’assassinat du commissaire Sanmarcelli, ou en novembre 1958, avec l’opération ciblant cheikh Abdelali Lakhdari, grand clerc musulman rallié à la France. Dans son édition du 22 juin, c’est en bas de casse que La Dépêche de Constantine, des frères Morel, organe du colonat, signale l’évènement, et la mort de Raymond apparaît en deuxième position après le titre rapportant l’attentat ayant visé une jeune assistante sociale musulmane. En page intérieure, c’est « l’émotion de la communauté musulmane » qui est mise en exergue par le journal. Quelques semaines avant la disparition de Raymond Leyris, alors qu’il séjournait à Paris pour des raisons familiales - son épouse devait subir des contrôles médicaux dans les services de cardiologie du Pr Nègre- une folle rumeur avait secoué Constantine selon laquelle l’artiste aurait été arrêté à Paris qu’il faut sans doute imputer à ceux qui n’appréciaient pas les positions affichées par Raymond sur la guerre en cours. En janvier 1961, Raymond Leyris avait voté « oui », et appelé ses proches à le faire, au référendum organisé par le Général de Gaulle sur sa politique algérienne. « Il faut voter oui pour récupérer nos racines », témoigne l’un des ses proches.
Si le talent de l’artiste était unanimement reconnu à Constantine, sa judéité était, par contre, contestée au sein de la communauté juive constantinoise. Son fils Jacques rapporte les brimades subies à l’alliance israélite de la ville. « Que viens-tu faire ici ? Tu n’es pas juif. Ton père a été circoncis à l’âge de cinq ans. Comment pouvaient-ils savoir si ce n’étaient les parents ?», s’interroge-t-il.
Le fils de Céline
Raymond Leyris, né en 1912 à Constantine, porte le nom de sa mère qui l’abandonnera à sa naissance. Son père biologique Joseph, jeune juif batnéen, - qui devait mourir à la guerre- entretenait une liaison avec Céline, issue d’une famille catholique française établie à Batna qu’il ne pouvait épouser en raison de l’opposition de sa famille. L’enfant est recueilli par la famille Cohen, qui le prendra en charge et assurera notamment son éducation religieuse. Il évoluera dans une grande proximité avec la communauté musulmane de la médina. Son fils signalera, par ailleurs, dans une contribution publiée par Le Quotidien d’Oran, sa parfaite maîtrise de l’arabe dialectal - en usage courant au sein de la famille et de l’arabe classique. Etait-ce là le péché originel de Raymond Leyris, né de mère non juive, et qui plus est, s’était recueilli sur sa tombe au cimetière chrétien de Saint-Eugène d’Alger et avait observé un deuil d’une année ? Tout semble alors se passer comme si ceux-là mêmes qui contestaient sa judéité – Raymond ne figure pas sur le cursus honorum des juifs algériens établi par la revue de l’Arche, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’indépendance algérienne, premier retour d’une mémoire juive algérienne en France- s’étaient attachés à en faire le symbole d’une communauté juive violentée. D’une certaine manière, ceux-là signaient la seconde mort de Raymond, dont la survie fut, faut-il le marquer, d’abord algérienne, assurée avec affection et respect par les mélomanes et les citadins constantinois. Au carrefour de la mémoire musicale de Raymond Leyris, Sid-Ahmed Benkimouche, mélomane averti et surtout technicien audio, qui avait participé avec Cohen, son patron de studio, aux enregistrements des prestations privées ou publiques – à la soirée de la fête de la police notamment- du musicien.
Proche des communistes algériens
Il est peu fait cas dans les différentes évocations de Raymond Leyris de sa proximité avec les communistes constantinois, et l’organe du PCA « Liberté » n’avait pas manqué de signaler l’animation, par Raymond, de l’une des kermesses du parti. C’est aussi dans les colonnes de ce même journal que l’on peut retrouver l’une des rares expressions médiatiques de l’artiste. Ainsi, dans l’entretien qu’il accorde au correspondant constantinois de Liberté, Raymond rend hommage à celui qu’il désigne comme étant son maître, Si Tahar Benkartoussa – ceux qui ont le privilège d’écouter les enregistrements, véritables incunables de Benkartoussa y entendront clairement la filiation - et s’affiche comme un défenseur de la tradition, déplorant « la disparition des m’hals véritables conservatoires » .
Une canonisation suspecte
Ceux qui parlent aujourd’hui – avec emphase et autorité – de « Cheikh Raymond » sont probablement ceux qui le connaissent le moins. Ceux-là ignorent entre autres l’appellation affectueuse de « Mirou », que lui attribue le cercle des proches et des mélomanes de la médina dans la version constantinoise – ezzaglamia- du verlan. A Constantine, les musiciens et mélomanes continuent, aujourd’hui encore à dire « Raymond », simplement Raymond. L’accolement de la notion de « cheikh » relève clairement d’un exotisme post-colonial sans racine en Algérie ou à Constantine. En attestent sa présentation dans les disques enregistrés par la maison « Hess El Moknine » - La voix de l’ortolan- qui indique « elmoughani Raymond », le chanteur Raymond, alors que le speaker des émissions radiophoniques de la station d’Alger présente « El moutrib - l’interprète, Raymond. Ce n’est pas attenter au talent et à la place singulière de Raymond Leyris dans le champ musical citadin de Constantine que de tenir qu’il n’a nul besoin de cette forme de canonisation. De son vivant Raymond, profondément imprégné de la culture de la société musicale de la médina, veillait aussi autant aux déférences qu’au respect de l’orthodoxie esthétique. Son gendre Gaston – Enrico Macias- rapporte comment Raymond avait sermonné son violoniste Sylvain qui s’était autorisé quelques fioritures alors que Baba Alloua Bentobbal, l’une des figures de la maîtrise à Constantine, était présent. L’immense artiste que fut Raymond – absolument selon le code esthétique en vigueur : maîtrise de l’instrument, maîtrise du répertoire, maîtrise de la voix - avait ce qui, précisément, caractérisait les authentiques artistes, le sens de l’humilité. En aucune manière et à aucun moment Raymond ne n’est prétendu référence ultime du malouf ou des corpus associés de la tradition citadine constantinoise. Sa canonisation a-t-elle alors préparé la thèse farfelue du malouf, « version constantinoise de l’andalou, musique populaire importée d’Espagne par les juifs chassés d’Espagne », soutenue par le journaliste du Monde ? Sous réserve d’inventaire et/ou de renouvellement spectaculaire de l’historiographie, il a toujours été question à ce sujet des royaumes musulmans en terre hispanique sur près de huit siècles et c’est à leur pouvoir que s‘était attaquée la Reconquista catholique. La communauté juive qui y vivait comptait dans ses rangs de fabuleux poètes dont les mouwashahs - en langue arabe- font aujourd’hui partie intégrante du patrimoine musical citadin de tout le Maghreb. Cette communauté, en marge de l’effondrement des royaumes musulmans, avait fait le choix de l’exil pour échapper à l’inquisition et l’obligation d’une conversion forcée au catholicisme. Seuls ceux qui continuent à (s) aveugler font l’impasse sur huit siècles d’échanges multiples entre les sociétés musulmanes du Maghreb et les royaumes musulmans d’Espagne s’obstinent à dater de la chute de ces royaumes – Ah Grenade 1492 - l’histoire de leurs musiques. Abdelkader Toumi Sief, grande référence intellectuelle des musiques citadines constantinoises, a pu soutenir, à titre d’exemple, que le mahdjouze, déclinaison locale du melhoun, préexistait à l’arrivée des Andalous à Constantine. D’une certaine manière, le mérite des juifs important d’Espagne des musiques arabes n’en serait que plus grand. Raymond Leyris doit sa stature exceptionnelle à son talent d’artiste, uniquement à son talent d’artiste, et l’appartenance confessionnelle n’y était pas pour grand-chose. D’autres musiciens juifs constantinois – Alexandre Naccache dit Juda, Edmond Bententano dit Charlot, Edmond Atlan, voire même Sylvain Ghrenassia- n’ont jamais bénéficié de la même aura qui figure légitimement dans l’histoire des musiques citadines de Constantine. Il est tout aussi légitime de défendre la mémoire de Raymond Leyris contre les tentations d’instrumentaliser les conditions tragiques de sa disparition à des desseins à peine occultes. Quelques rappels s’imposent. L’assassinat de Raymond, en juin 1961, intervient dans un contexte marqué pat une décisive inflexion du cours de la guerre. En réponse à une invitation publique du Général de Gaulle, une délégation du GPRA rencontre des représentants du gouvernement français le 20 mai à Evian, un mois tout juste après la tentative de putsch des généraux du 22 avril et au moment même où se créait à Madrid l’Organisation armée secrète (OAS). L’avenir de la communauté européenne d’Algérie - sans référence particulière au statut historique de la communauté juive algérienne - est l’un des points centraux des négociations engagées. Qu’en était il alors des juifs algériens ? La ratonnade du 12 mai 1956 à Constantine, conduite par des milices juives armées, sous le contrôle du Mossad et des unités territoriales, fournissent, au moins partiellement, une réponse. Selon le témoignage de l’un des parrains de l’opération, le Mossad avait mission de « protéger les juifs des actions du FLN » et on peut comprendre, à bon droit, qu’il s’agissait aussi d’organiser l’indépendance de l’Algérie ne faisant plus de doute, l’Alya, le transfert vers Israël des juifs Constantinois. L’assassinat de Raymond pouvait-il être l’une des clés de l’opération ? La question attend les clarifications ses services Israéliens. L’article du Monde suggère aussi que cette opération aurait pu être commanditée par ceux qui, au FLN, étaient les tenants d’une « Algérie arabo-musulmane », revendication longtemps portée par l’Association des oulémas. Cela revient à ignorer le poids marginal des représentants des oulémas au sein de la direction du FLN, d’une part, et faire peu cas des juifs algériens engagés dans les rangs du Front, à l’exemple de Daniel Timsitt ou de Hadj Ghrenassia, membre du commando Ali khodja, d’autre part. En 1956, le FLN lançait un appel aux juifs algériens de rejoindre ses rangs pour défendre la patrie commune ; la réponse d’Alger, Oran, Constantine est connue : « Notre partie, c’est la France. » S’il y a eu des victimes juives durant la guerre d’indépendance – et il y en a eu- sans rappeler que le plus fort tribut fut payé par les musulmans, aucune imputation d’un FLN antisémite n’a trouvé crédit aux yeux des observateurs. Hors de la notable contribution de Benjamin Stora, il existe peu de travaux sur la communauté juive algérienne et il faut sans doute revenir à l’incontournable travail du rabbin Emile Einseibeth pour avoir une vue plus documentée sur sa démographie. Selon les estimations, datant de 1954, la population de Constantine s’élevait à 112 000 personnes – 80 000 musulmans, 20 000 Européens, 12 000 juifs- et Constantine n’était alors que le quatrième foyer en nombre de la communauté juive algérienne.
L’assassinat de Raymond avait-il été un embrayeur du mouvement de la migration des juifs constantinois ? Cette thèse, pour avoir pour elle les effets de la dramatisation, ne se fonde sur aucune étude et l’auteur de ces lignes peut témoigner de la présence dans les classes de son collège de camarades juifs jusqu’au terme de l’année scolaire 1961/1962.
Raymond
Raymond continue de vivre par son art, sa voix, sa maîtrise, singulièrement dans sa ville Constantine. Son aura continue d’échapper aux quelques remugles d’un antisémitisme de circonstance et le temps n’est plus où ses enregistrements circulaient sous le manteau, souvent sous ceux de plénipotentiaires du régime.
En marge de l’organisation de la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique », une exposition consacrée aux maîtres des musiques citadines algériennes faisait toute sa place à Raymond Leyris, aux côtés de Cheikh Larbi Bensari ou de Dahmane Benachour. C’est en présence de Khalida Toumi, ministre de la Culture à l’époque, que s’était effectué le vernissage au palais Moufdi-Zakaria. Raymond, artiste algérien, repose en terre algérienne.
Mostefa Boutemira, chef de la Zone V de Constantine –dont les mémoires sont attendues avec un grand intérêt- affirme dans son témoignage que le FLN, dont il était le premier responsable, n’avait en aucune manière ordonné l’opération qui avait visé Raymond. Il ajoute : «Ce jour-là, j’étais descendu en ville pour une inspection et le principe était, dans pareilles circonstances, de ne programmer aucune action pour éviter la sortie des services de sécurité français. » Les documents existent, notamment les recommandations écrites du commandant Si Messaoud Boudjeriou, membre du commandement de la Wilaya II, sur l’importance des liens avec les européens libéraux et la communauté juive, et il y a lieu de rappeler la soumission de toute opération visant notamment une personnalité à l’accord formel du chef de Zone. Le constat a, par ailleurs, été largement fait, que le silencieux ne faisait pas partie de l’armement des fidayin du FLN, ouvrant ainsi légitimement droit aux questions de savoir qui a décidé de l’exécution et à quelles fins. Cela, d’autant plus que le FLN, à Constantine, n’hésitait pas à revendiquer clairement ses responsabilités comme cela avait été notamment, en mars 1956, avec l’assassinat du commissaire Sanmarcelli, ou en novembre 1958, avec l’opération ciblant cheikh Abdelali Lakhdari, grand clerc musulman rallié à la France. Dans son édition du 22 juin, c’est en bas de casse que La Dépêche de Constantine, des frères Morel, organe du colonat, signale l’évènement, et la mort de Raymond apparaît en deuxième position après le titre rapportant l’attentat ayant visé une jeune assistante sociale musulmane. En page intérieure, c’est « l’émotion de la communauté musulmane » qui est mise en exergue par le journal. Quelques semaines avant la disparition de Raymond Leyris, alors qu’il séjournait à Paris pour des raisons familiales - son épouse devait subir des contrôles médicaux dans les services de cardiologie du Pr Nègre- une folle rumeur avait secoué Constantine selon laquelle l’artiste aurait été arrêté à Paris qu’il faut sans doute imputer à ceux qui n’appréciaient pas les positions affichées par Raymond sur la guerre en cours. En janvier 1961, Raymond Leyris avait voté « oui », et appelé ses proches à le faire, au référendum organisé par le Général de Gaulle sur sa politique algérienne. « Il faut voter oui pour récupérer nos racines », témoigne l’un des ses proches.
Si le talent de l’artiste était unanimement reconnu à Constantine, sa judéité était, par contre, contestée au sein de la communauté juive constantinoise. Son fils Jacques rapporte les brimades subies à l’alliance israélite de la ville. « Que viens-tu faire ici ? Tu n’es pas juif. Ton père a été circoncis à l’âge de cinq ans. Comment pouvaient-ils savoir si ce n’étaient les parents ?», s’interroge-t-il.
Le fils de Céline
Raymond Leyris, né en 1912 à Constantine, porte le nom de sa mère qui l’abandonnera à sa naissance. Son père biologique Joseph, jeune juif batnéen, - qui devait mourir à la guerre- entretenait une liaison avec Céline, issue d’une famille catholique française établie à Batna qu’il ne pouvait épouser en raison de l’opposition de sa famille. L’enfant est recueilli par la famille Cohen, qui le prendra en charge et assurera notamment son éducation religieuse. Il évoluera dans une grande proximité avec la communauté musulmane de la médina. Son fils signalera, par ailleurs, dans une contribution publiée par Le Quotidien d’Oran, sa parfaite maîtrise de l’arabe dialectal - en usage courant au sein de la famille et de l’arabe classique. Etait-ce là le péché originel de Raymond Leyris, né de mère non juive, et qui plus est, s’était recueilli sur sa tombe au cimetière chrétien de Saint-Eugène d’Alger et avait observé un deuil d’une année ? Tout semble alors se passer comme si ceux-là mêmes qui contestaient sa judéité – Raymond ne figure pas sur le cursus honorum des juifs algériens établi par la revue de l’Arche, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’indépendance algérienne, premier retour d’une mémoire juive algérienne en France- s’étaient attachés à en faire le symbole d’une communauté juive violentée. D’une certaine manière, ceux-là signaient la seconde mort de Raymond, dont la survie fut, faut-il le marquer, d’abord algérienne, assurée avec affection et respect par les mélomanes et les citadins constantinois. Au carrefour de la mémoire musicale de Raymond Leyris, Sid-Ahmed Benkimouche, mélomane averti et surtout technicien audio, qui avait participé avec Cohen, son patron de studio, aux enregistrements des prestations privées ou publiques – à la soirée de la fête de la police notamment- du musicien.
Proche des communistes algériens
Il est peu fait cas dans les différentes évocations de Raymond Leyris de sa proximité avec les communistes constantinois, et l’organe du PCA « Liberté » n’avait pas manqué de signaler l’animation, par Raymond, de l’une des kermesses du parti. C’est aussi dans les colonnes de ce même journal que l’on peut retrouver l’une des rares expressions médiatiques de l’artiste. Ainsi, dans l’entretien qu’il accorde au correspondant constantinois de Liberté, Raymond rend hommage à celui qu’il désigne comme étant son maître, Si Tahar Benkartoussa – ceux qui ont le privilège d’écouter les enregistrements, véritables incunables de Benkartoussa y entendront clairement la filiation - et s’affiche comme un défenseur de la tradition, déplorant « la disparition des m’hals véritables conservatoires » .
Une canonisation suspecte
Ceux qui parlent aujourd’hui – avec emphase et autorité – de « Cheikh Raymond » sont probablement ceux qui le connaissent le moins. Ceux-là ignorent entre autres l’appellation affectueuse de « Mirou », que lui attribue le cercle des proches et des mélomanes de la médina dans la version constantinoise – ezzaglamia- du verlan. A Constantine, les musiciens et mélomanes continuent, aujourd’hui encore à dire « Raymond », simplement Raymond. L’accolement de la notion de « cheikh » relève clairement d’un exotisme post-colonial sans racine en Algérie ou à Constantine. En attestent sa présentation dans les disques enregistrés par la maison « Hess El Moknine » - La voix de l’ortolan- qui indique « elmoughani Raymond », le chanteur Raymond, alors que le speaker des émissions radiophoniques de la station d’Alger présente « El moutrib - l’interprète, Raymond. Ce n’est pas attenter au talent et à la place singulière de Raymond Leyris dans le champ musical citadin de Constantine que de tenir qu’il n’a nul besoin de cette forme de canonisation. De son vivant Raymond, profondément imprégné de la culture de la société musicale de la médina, veillait aussi autant aux déférences qu’au respect de l’orthodoxie esthétique. Son gendre Gaston – Enrico Macias- rapporte comment Raymond avait sermonné son violoniste Sylvain qui s’était autorisé quelques fioritures alors que Baba Alloua Bentobbal, l’une des figures de la maîtrise à Constantine, était présent. L’immense artiste que fut Raymond – absolument selon le code esthétique en vigueur : maîtrise de l’instrument, maîtrise du répertoire, maîtrise de la voix - avait ce qui, précisément, caractérisait les authentiques artistes, le sens de l’humilité. En aucune manière et à aucun moment Raymond ne n’est prétendu référence ultime du malouf ou des corpus associés de la tradition citadine constantinoise. Sa canonisation a-t-elle alors préparé la thèse farfelue du malouf, « version constantinoise de l’andalou, musique populaire importée d’Espagne par les juifs chassés d’Espagne », soutenue par le journaliste du Monde ? Sous réserve d’inventaire et/ou de renouvellement spectaculaire de l’historiographie, il a toujours été question à ce sujet des royaumes musulmans en terre hispanique sur près de huit siècles et c’est à leur pouvoir que s‘était attaquée la Reconquista catholique. La communauté juive qui y vivait comptait dans ses rangs de fabuleux poètes dont les mouwashahs - en langue arabe- font aujourd’hui partie intégrante du patrimoine musical citadin de tout le Maghreb. Cette communauté, en marge de l’effondrement des royaumes musulmans, avait fait le choix de l’exil pour échapper à l’inquisition et l’obligation d’une conversion forcée au catholicisme. Seuls ceux qui continuent à (s) aveugler font l’impasse sur huit siècles d’échanges multiples entre les sociétés musulmanes du Maghreb et les royaumes musulmans d’Espagne s’obstinent à dater de la chute de ces royaumes – Ah Grenade 1492 - l’histoire de leurs musiques. Abdelkader Toumi Sief, grande référence intellectuelle des musiques citadines constantinoises, a pu soutenir, à titre d’exemple, que le mahdjouze, déclinaison locale du melhoun, préexistait à l’arrivée des Andalous à Constantine. D’une certaine manière, le mérite des juifs important d’Espagne des musiques arabes n’en serait que plus grand. Raymond Leyris doit sa stature exceptionnelle à son talent d’artiste, uniquement à son talent d’artiste, et l’appartenance confessionnelle n’y était pas pour grand-chose. D’autres musiciens juifs constantinois – Alexandre Naccache dit Juda, Edmond Bententano dit Charlot, Edmond Atlan, voire même Sylvain Ghrenassia- n’ont jamais bénéficié de la même aura qui figure légitimement dans l’histoire des musiques citadines de Constantine. Il est tout aussi légitime de défendre la mémoire de Raymond Leyris contre les tentations d’instrumentaliser les conditions tragiques de sa disparition à des desseins à peine occultes. Quelques rappels s’imposent. L’assassinat de Raymond, en juin 1961, intervient dans un contexte marqué pat une décisive inflexion du cours de la guerre. En réponse à une invitation publique du Général de Gaulle, une délégation du GPRA rencontre des représentants du gouvernement français le 20 mai à Evian, un mois tout juste après la tentative de putsch des généraux du 22 avril et au moment même où se créait à Madrid l’Organisation armée secrète (OAS). L’avenir de la communauté européenne d’Algérie - sans référence particulière au statut historique de la communauté juive algérienne - est l’un des points centraux des négociations engagées. Qu’en était il alors des juifs algériens ? La ratonnade du 12 mai 1956 à Constantine, conduite par des milices juives armées, sous le contrôle du Mossad et des unités territoriales, fournissent, au moins partiellement, une réponse. Selon le témoignage de l’un des parrains de l’opération, le Mossad avait mission de « protéger les juifs des actions du FLN » et on peut comprendre, à bon droit, qu’il s’agissait aussi d’organiser l’indépendance de l’Algérie ne faisant plus de doute, l’Alya, le transfert vers Israël des juifs Constantinois. L’assassinat de Raymond pouvait-il être l’une des clés de l’opération ? La question attend les clarifications ses services Israéliens. L’article du Monde suggère aussi que cette opération aurait pu être commanditée par ceux qui, au FLN, étaient les tenants d’une « Algérie arabo-musulmane », revendication longtemps portée par l’Association des oulémas. Cela revient à ignorer le poids marginal des représentants des oulémas au sein de la direction du FLN, d’une part, et faire peu cas des juifs algériens engagés dans les rangs du Front, à l’exemple de Daniel Timsitt ou de Hadj Ghrenassia, membre du commando Ali khodja, d’autre part. En 1956, le FLN lançait un appel aux juifs algériens de rejoindre ses rangs pour défendre la patrie commune ; la réponse d’Alger, Oran, Constantine est connue : « Notre partie, c’est la France. » S’il y a eu des victimes juives durant la guerre d’indépendance – et il y en a eu- sans rappeler que le plus fort tribut fut payé par les musulmans, aucune imputation d’un FLN antisémite n’a trouvé crédit aux yeux des observateurs. Hors de la notable contribution de Benjamin Stora, il existe peu de travaux sur la communauté juive algérienne et il faut sans doute revenir à l’incontournable travail du rabbin Emile Einseibeth pour avoir une vue plus documentée sur sa démographie. Selon les estimations, datant de 1954, la population de Constantine s’élevait à 112 000 personnes – 80 000 musulmans, 20 000 Européens, 12 000 juifs- et Constantine n’était alors que le quatrième foyer en nombre de la communauté juive algérienne.
L’assassinat de Raymond avait-il été un embrayeur du mouvement de la migration des juifs constantinois ? Cette thèse, pour avoir pour elle les effets de la dramatisation, ne se fonde sur aucune étude et l’auteur de ces lignes peut témoigner de la présence dans les classes de son collège de camarades juifs jusqu’au terme de l’année scolaire 1961/1962.
Raymond
Raymond continue de vivre par son art, sa voix, sa maîtrise, singulièrement dans sa ville Constantine. Son aura continue d’échapper aux quelques remugles d’un antisémitisme de circonstance et le temps n’est plus où ses enregistrements circulaient sous le manteau, souvent sous ceux de plénipotentiaires du régime.
En marge de l’organisation de la manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique », une exposition consacrée aux maîtres des musiques citadines algériennes faisait toute sa place à Raymond Leyris, aux côtés de Cheikh Larbi Bensari ou de Dahmane Benachour. C’est en présence de Khalida Toumi, ministre de la Culture à l’époque, que s’était effectué le vernissage au palais Moufdi-Zakaria. Raymond, artiste algérien, repose en terre algérienne.
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Sélection livre : les musiques de l’Algérie par le chanteur Taoufik Bestandji
Ce spécialiste du malouf propose une approche de la diversité des expressions musicales algériennes.
Le Monde
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Par Patrick Labesse
S’il existe des publications sur les musiques de l’Algérie, un livre faisant le tour de la question restait à écrire. Le musicien et chanteur algérien Taoufik Bestandji, installé en France depuis plus de vingt-cinq ans, spécialiste du malouf, la musique arabo-andalouse de Constantine, sa ville natale, s’est mis au travail. Conçu à partir de ses notices de disques, augmentées et organisées dans un ordre raisonné, cet ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité. Des composantes contemporaines n’y sont pas abordées, telles que les musiques actuelles sous influences occidentales (pop-rock, reggae, jazz, hip-hop, électro…). Ce petit livre n’en reste pas moins utile pour découvrir la richesse musicale de l’Algérie.
« La musique rurbaine »
L’auteur y aborde ce qu’il nomme « le fait musical berbère » aussi bien que la musique des Touareg, les musiques et danses des Berbères-Chaouia du massif de l’Aurès comme celles du grand Sahara (« mixage de l’élément arabe, notamment hilalien, et de l’élément africain »), avant de s’arrêter sur « la musique rurbaine », celle « qui intègre et reflète les phénomènes d’acculturation liés notamment à l’installation de populations allogènes à la périphérie des grandes villes ». Toute musique dite asri (littéralement, « moderne ») relève selon lui de cette catégorie, notamment le raï dans les années 1990. En faisant allusion à la musique des communautés non musulmanes, Taoufik Bestandji insiste aussi sur le rôle essentiel qu’ont joué les juifs dans la musique des cités algériennes.Reposant sur le concept de noubas, des suites vocales et instrumentales, l’arabo-andalou, né dans l’Andalousie musulmane a donné naissance à des genres annexes tels le hawzi, le mahjouz et le chaâbi, « le genre musical le plus populaire d’Alger et de ses environs ». Taoufik Bestandji consacre encore de longs passages au malouf, l’arabo-andalou de Constantine. Arrière-petit-fils de Cheikh Abdelkrim Bestandji, qui enseigna cet art à Raymond Leyris (le futur Cheikh Raymond, tué par balle le 22 juin 1961), il est lui-même reconnu comme un des maîtres du malouf.
L’Algérie en musique, de Taoufik Bestandji, L’Harmattan, 123 p.,
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