الخميس، سبتمبر 6



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Impliqué à de multiples titres par l’histoire de la guerre d’Algérie, en tant que citoyen et cinéaste, en tant que Juif et Algérien, puisque je n’ai quitté l’Algérie qu’en 1993, la Tribune du CRIF accordée à B. Stora en 2014, ne peut me laisser indifférent, comme d’ailleurs l’ensemble des propos de cet historien, juif aussi, mais ayant quitté l’Algérie enfant, une année avant l’indépendance.
Par Jean-Pierre Lledo.
Se donnant, là, pour tache d’expliquer les raisons du départ des 130.000 Juifs d’Algérie, je note avec satisfaction que B. Stora évoque le ciblage des Juifs  «…Victimes d’attentats individuels ou collectifs, par des bombes dans des lieux publics, et des attaques à l’arme blanche.» Et même «la dimension arabo-musulmane de l’identité nationale» du nationalisme algérien qui exclut, de fait, tous les non-musulmans du projet de la future Algérie indépendante : le Code de la Nationalité, deuxième loi adoptée en 1963, après la Constitution, stipulera en effet que seuls les musulmans sont automatiquement algériens (l’historien aurait pu le notifier).
Tout cela est en effet d’une autre tonalité que les propos tenus par le même historien, dans le Monde diplomatique de mai 2008. Présenté comme “un des meilleurs historiens de l’Algérie”, B. Stora affirmait : «  Depuis qu’ils sont rentrés (sic) en France, les rapatriés (resic) ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient tous été obligés de partir…» Le 26 du même mois, à l’Hôtel de Ville de Paris, lors d’une conférence-débat  de l’Association “Coup de soleil’’, à la question : pourquoi vos parents ont-ils quitté l’Algérie ?, il répond agacé : «Mes parents aimaient la France, la France est partie, alors ils ont suivi la France.» Il reste que dans cette Tribune du Crif, aussi, l’historien continue de privilégier cette raison. Il commence par elle et lui consacre l’essentiel de son papier. Pour le résumer: Français par Crémieux, les Juifs tenaient à le rester. L’historien pourra toujours se défendre. Il cite effectivement bien d’autres raisons : dhimmitude, nationalisme, islam, agressivité, durant “la guerre d’Algérie’’… Mais – comment dire… ? – sur un mode mineur d’atténuation, et de façon désincarnée.
La dhimmitude islamique 
Selon  B. Stora c’était « un mélange de protection et de soumission ! » Ah, seulement ? Et la discrimination, la ségrégation, le racisme, l’apartheid, l’humiliation au quotidien, la rouelle jaune ancêtre de l’étoile des nazis, le coup sur la nuque du représentant de la communauté qui venait apporter l’impôt supplémentaire, la savate qui devait laisser dépasser le talon, les couleurs interdites pour l’habillement, les travaux dégradants, les pogroms à répétition, les conversions obligatoires, etc, etc. ? Après un tel régime, comment les Juifs n’eussent-ils pas sauté au cou des Français ? Paul Fenton et David Litman en ont donné 800 pages de preuves (L’Exil au Maghreb, PUF). Quant au nationalisme : « Stora insiste sur la dimension arabo-musulmane de l’identité nationale. » Il ne ferait qu’insister ? Le nationalisme algérien n’aurait-il usé que de rhétorique ? La première victime, et non la seule, des émeutes de mai 1945, n’est-elle pas une petite juive de 10 ans ? Durant ces émeutes, ne crie-t-on pas dans les rues des villes et des villages “Nkatlou Yahoud” (Tuons les Juifs) ?
B. Stora : « De nombreuses familles juives, ce qui est peu connu, ont été touchées aussi bien comme Juifs que comme Français. » L’historien spécialiste de l’Algérie devrait savoir que du point de vue des fidayîn et des moudjahidine qui tuent au faciès, comme par exemple le 20 Août 1955, encore dans le Constantinois, il n’y a pas de “Français’’, mais uniquement des “Yahoud’’ et des “Nsara’’ (chrétiens). Quand aux Juifs, on les vise bien parce que Juifs. L’historien ne devrait avoir aucun doute là-dessus. N’a-t-il pas écrit lui-même dans “Trois Exils’’ qu’on tuait les Juifs, “de préférence le samedi” ? Et on les vise, selon différents modes opératoires, en les arrosant d’essence dans la rue (David Chiche, 65 ans, Alger), en les tuant à l’entrée ou à la sortie des synagogues (comme à Constantine, quelques mois avant l’indépendance, Edmond Barouch Sirat, frère du Grand Rabbin de France, René Sirat), ou avec des bombes, y compris chez eux (Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, tué avec sa famille). Ils sont pourchassés en tout lieu : devant leur magasin comme Emile Atlan (héros de l’Opération Torch, mise au point par des Juifs, qui permit aux Américains de prendre Alger sans combat), à l’intérieur de leur lieu de travail, ou en des lieux de détente (grenades dans les cafés de Constantine) ou de loisir (Casino de la Corniche qui pulvérise notamment l’orchestre de Lucien Séror, dit Lucky Starway)… Les synagogues, elles-mêmes ne sont pas épargnées : grenades dans les synagogues de villes du Sud, Boghari en mars 1958 (1 mort), et Bou Saada en 1959 la veille de Kippour (la petite fille du Rabbin tuée). Celle d’Orléanville est incendiée. La grande Synagogue d’Alger, en décembre 1960, dévastée aux cris de “Mort aux juifs’’, les Rouleaux de la Tora profanés, des croix gammées dessinées sur les murs, et le drapeau indépendantiste planté.
La fin de la guerre d’Algérie.
Raymond Leyris ( avec le Oud) et son gendre Enrico Macias sont régulièrement salis dans la presse algérienne.
Raymond Leyris ( avec le Oud) et son gendre Enrico Macias sont régulièrement salis dans la presse algérienne.
L’historien nous dit certes qu’elle a été “dramatique”. Pour exemple, il  cite « l’assassinat du célèbre musicien Raymond Leyris en 1961. » C’est déjà mieux que dans le grand livre récent qu’il a parrainé avec A. Meddeb, sur les relations entre juifs et musulmans dans le monde arabo-musulman, où le musicien n’est évoqué que pour illustrer la symbiose judéo-arabe, sans que l’on sache qu’il a été assassiné ! (Ce livre exclut même de sa bibliographie, des historiens comme Bat Yé’Or, Weinstock, Fenton, Bensoussan, qui ont été pourtant des pionniers dans l’histoire judéo-musulmane non-idéalisée, sans parler de “La fin du judaïsme en terres d’Islam’’, dirigé par Trigano). Mais l’historien rate une nouvelle occasion de combler un immense trou dans son historiographie de la guerre. En effet, il continue à ignorer ce qu’a été la journée la plus meurtrière de la guerre d’Algérie : 700 morts et disparus à jamais (lire “Silence d’Etat’’ de JJ Jordi). Il s’agit du 5 Juillet 1962 à Oran, premier jour officiel de la célébration de l’indépendance qui venait d’être votée 2 jours plus tôt. Ce jour-là, du matin au soir, on a tué, étripé, démembré, du matin au soir, encore une fois, au faciès. Et naturellement, Oran étant numériquement la  ville la plus juive d’Algérie, nombreuses et nombreux furent les “Yahoud’’ assassinés et, à ce jour, disparus. La Yahoudya Viviane Ezagouri, membre comme moi du Collectif 5 Juillet 1962, se tient à la disposition de l’historien pour lui raconter comment, avec son fiancé, elle échappa miraculeusement au lynchage, chance que n’eut guère son père…
Le Congrès Juif mondial ne pourra rien contre le départ des Juifs, leur assassinat les attentats contre les synagogues.
Le Congrès Juif mondial ne pourra rien contre le départ des Juifs, leur assassinat les attentats contre les synagogues.
Les 130 000 Juifs partis, soit vers la France, soit vers Israël, la nouvelle Algérie “libre’’ va-t-elle les regretter, se les remémorer, les rappeler, leur donner envie de revenir, leur montrer qu’après la guerre et ses horreurs, et la fin du “colonialisme’’ une nouvelle ère de communion pouvait commencer ? Que nous dit l’historien ? « Les pouvoirs successifs ont reconstruit une histoire de l’Algérie en supprimant les traces de toutes les diversités, donc la présence des Juifs dans ce pays. » C’est le moins que le puisse dire ! C’est très peu, trop peu pour signifier que le départ des Juifs, loin de l’atténuer, n’a fait que décupler la judéophobie, surtout depuis la “libéralisation’’ politique et médiatique… Même le président de la république Bouteflika qui avait invité Enrico Macias doit se rétracter ! Les 150 Tlemcéniens qui en 2005 reviennent dans leur ville, déclenchent surtout dans les journaux arabophones, une des plus grandes hystéries antijuives (« Le temps de l’enjuivation ! La façon provocante et plus qu’officielle avec laquelle les Juifs ont été reçus à Tlemcen indique qu’il existe des musulmans, issus de notre sang, qui sont encore davantage enjuivés que les Juifs eux-mêmes. » Ech-Chourouk El-Youmi).
A peu près au même moment, un quotidien national francophone (Quotidien d’Oran), donne 2 immenses pages à un avocat (Lezzar) pour “prouver’’ que Raymond Leyris avait été sciemment liquidé par le FLN, en raison de ses accointances avec l’OAS ! Raymond Leyris et son gendre Enrico Macias sont régulièrement salis dans la presse algérienne. Dans mon film “Algérie, histoires à ne pas dire’’ un musicien qui se présente comme un ancien moudjahid, lance, en parlant de l’assassinat de R. Leyris : « Il ne valait même pas la balle qui l’a tué », tandis que plus prosaïquement, un patron de hammam de Constantine nous dit que chez eux, Arabes et Juifs ne se lavaient pas aux même heures, à cause de “l’odeur’’ de ces derniers… Enfin B. Stora aurait même pu donner un exemple personnel de la judéophilie ambiante : sa participation à la grande rencontre des Constantinois, à Jérusalem en 2005, déclenche une autre  avalanche de réactions agressives dans la presse algérienne. On lui demande des comptes. Et fait surprenant, il croit nécessaire d’en rendre…
Les communistes : « Une petite minorité de Juifs, surtout proche du Parti communiste algérien, restera après 1962… Ceux-là aussi partiront dans les années 1990, au moment de la terrible guerre civile… » Comparée aux 9 millions de musulmans et aux 130 000 Juifs de 1962, on pourrait penser qu’il s’agit là d’un millier de personnes, ou même d’une centaine… Or, la “petite minorité de Juifs’’, c’est à peine une dizaine de personnes après 62 ! Le sens de la mesure, ce n’est pas rien en histoire, non ? Quand à ceux qui partirent au début des années 90, il n’y en eut que deux (dont moi). Parce que pour qui voulait voir, les choses étaient visibles dès le début de l’indépendance : en 1963, à Ténès, la Rue Pierre Ghenassia (communiste, infirmier dans les maquis de l’ALN, qui préféra mourir plutôt que fuir – comme le lui proposa son chef, le Cdt Azzedine – et abandonner ses blessés) ne fut-elle pas débaptisée en Rue El Qods ? !

Les choses étaient claires depuis longtemps d’ailleurs. Le communiste juif André Beckouche, constantinois comme Stora, se rappelle que dans un de ces débats d’étudiants algériens à Paris, qu’il situe en 1955, Réda Malek, jeune dirigeant nationaliste, avait ainsi conclu  : « L’Algérie, n’est pas un manteau d’Arlequin »… 35 ans plus tard, relatant les négociations sur “Les Accords d’Evian’’ dont il avait été partie prenante (Le Seuil, 1990), il persiste et signe : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé.» Et les lecteurs doivent savoir que cet homme n’était pas un fanatique, qu’il se voulait un “moderne’’ et qu’il combattit autant qu’il put les islamistes lorsqu’il fut chef du gouvernement en 1994. Quelques années plus tard, lorsqu’il évoque la signature de ces Accords d’Evian, Ben Khedda, qui fut le Président du GPRA de 1958 à l’indépendance, souvent présenté comme un “démocrate’’ face au “dictateur’’ Boumedienne, est encore plus explicite : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale » (La fin de la guerre d’Algérie, 1998 – Casbah Ed).
Les Juifs sont certainement le peuple qui a donné, et continue de donner, à toutes les “révolutions’’ le plus fort contingent d’idiots utiles. C’est un constat. Que je fais en connaissance de cause puisque j’avoue sans fierté en avoir été. Mais quand ils sont censés écrire l’histoire, cette mission ne devrait-elle pas les encourager à distinguer, au moins, entre leur rêve de fraternité et l’histoire réelle, et au plus à se remettre en question ? Auteur en 1969, de “Le sionisme contre Israël’’, considéré par l’extrême gauche comme la Bible de l’antisionisme, l’historien Nathan Weinstock a montré qu’il ne fallait pas désespérer, puisqu’il nous a offert ces dernières années un des meilleurs livres d’histoire qui se soit écrit sur le conflit israélo-palestinien: “Terre promise, trop promise’’.

La synagogue d’Alger devenu une mosquée
La synagogue d’Alger devenu une mosquée
Enfin, la seule atténuation légitime, mais dont l’historien ne dit mot, est qu’il faut se garder d’identifier le comportement des chefs à celui de tous les individus, parmi lesquels, il y eut comme partout des Justes. Ils furent, comme partout, très minoritaires. Et parmi eux ne brillèrent que très peu d’intellectuels, lesquels dans leur grande majorité ont préféré jusqu’ici emboucher les trompettes de la vindicte et de l’excommunication. Dans le monde arabo-musulman, rapport aux Juifs, l’Algérie n’est certes pas une exception. Déplorant que depuis le jour de son enterrement, plus personne n’ait pu réciter de Kaddish sur la tombe de son frère assassiné, René Sirat l’ancien Grand Rabbin de France, constatait il y a quelques années : « Aujourd’hui, l’Algérie est l’un des rares pays au monde Judenrein ».

 Le Congrès Juif mondial ne pourra rien contre le départ des Juifs, leur assassinat les attentats contre les synagogues.


 Le Congrès Juif mondial ne pourra rien contre le départ des Juifs, leur assassinat les attentats contre les synagogues.

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