Le Président en images, rien que du cinéma
le 06.09.13 | 10h00
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© Photo : APS
Comment fabriquer de l’émotion 100% algérienne ? Depuis le 12 juin 2013, la télé est devenue l’attachée de presse cinématographique d’un Président en mal de quotidiens algériens. Analyse des trois dernières et conséquentes apparitions de Abdelaziz Bouteflika depuis son «congé maladie» du 27 avril 2013, suite à un accident ischémique transitoire.
12 juin 2013. Les gestes du quotidien pour rassurer
Que voit-on ce 12 juin 2013 dans notre petite lucarne ? Pratiquement rien qui ne donne le tournis, excepté une mise en scène maladroitement effectuée par le réalisateur télé, donc du département communication de la Présidence, qui tente de montrer un homme totalement indépendant de la maladie et encore apte à bouger, manger, respirer, ouvrir les yeux, boire, écouter, répondre. Les images défilent lentement, posément, et le montage, par petits coups, se veut plus pernicieux, en évitant par exemple le son (aucun captage de la conversation entre Bouteflika et son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, juste les flashs des appareils photos), excepté un commentaire écrit au scalpel du journaliste qui relate les deux heures d’entretien sans qu’on en ait une réelle preuve, le tout interrompu sans cesse par un montage qui coupe dans l’action elle-même. Exemple : le Président effleure le rebord de sa tasse de ses lèvres, puis la pose sur la table. Il prend une serviette et cut ! Le plan suivant est suffisamment large pour que l’on comprenne que cette image ne suit pas la chronologie de l’action, qu’il y a maldonne sur la durée réelle du geste. Dernier plan : Bouteflika regarde Sellal, mais on sent, par sa gestuelle, qu’il vient de poser la serviette sur la table. Il y a donc montage, et dans la foulée un désir formel de filtrer certaines images, certains instants. L’idée de cette séquence est de rassurer, soulager le peuple algérien que son Président est encore vivant. Et comment y procéder ? En lui montrant les choses qui lui sont familières, à savoir les mêmes gestes qu’il effectue dans son quotidien. Enfin, en affichant cette situation bancale, le spectateur devient un voyeur et ressent de l’empathie envers ce malade suffisamment âgé pour se dire : «Laissons-le tranquille.» A partir du moment où l’image crée une émotion fabriquée, il y a violence : l’esprit de celui qui regarde est suffisamment taillé en pièces, pour «accepter» dorénavant l’absence des hautes instances politiques, et dans la foulée, la situation bringuebalante de la politique algérienne. La télé devient donc un mouchoir de luxe.
16 juillet. On ne remarque rien et c’est déjà beaucoup
Bouteflika arrive en Algérie. Son avion vient de se poser. Les officiels sont présents. Le Président sort enfin de l’avion, d’un pas tranquille. Mais il n’a pas eu le temps de fouler le tarmac que le montage, toujours féroce de la télévision, coupe l’action pour passer à autre chose. On y voit le cortège du Président, des voitures rouler à vive allure, sans que l’on puisse identifier dans laquelle de ces berlines se trouve Abdelaziz Bouteflika. On imagine, et c’est déjà essentiel pour la télévision. Dernière séquence de ce reportage, le sempiternel tableau où l’on voit le Président recevoir entre autres le président du Conseil, le président de l’Assemblée et son Premier ministre. Contrairement aux images parisiennes du 12 juin, il paraît moins détendu, plus à l’aise, mais toujours avec ce regard étrangement vide. Que voit-on cette fois-ci ? Qu’il peut suivre plusieurs conversations grâce notamment à la disposition des invités, assis aux deux extrémités de la pièce, sur de larges canapés, donnant un aperçu de la possibilité pour le Président d’être encore attentif. Puis l’on entend – assez mal – une phrase de Larbi Ould Khelifa dans laquelle le mot «toujours» vient heurter nos oreilles. Plan suivant, Sellal s’adresse au Président, mais ce n’est pas sa voix qu’on l’on cerne, mais plutôt celle d’Ould Khelifa avec son mot «toujours». Encore une fois, la télévision filtre et l’image et le son, afin de ne pas montrer la «réalité» des choses, sous les flashs des appareils photos. Mais cela va tellement vite que l’on ne constate pratiquement rien. Et c’est déjà beaucoup.
14 août. Le Président hors sujet
La séquence va durer 27 secondes. Pas plus pas moins. Ce jour-là, les Algériens découvrent la troisième apparition officielle de leur Président, recevant le Premier ministre dans sa résidence d’Alger. Toujours des vases posés derrière Abdelaziz Bouteflika, toujours une table bien garnie de pâtisseries et autres sucreries, et toujours le Président qui affiche un regard vide tandis que Sellal lui explique deux trois choses qu’il sait de l’Algérie. On y voit les flashs mais on ne les entend pas. Mieux que ça, le son n’est pas celui de l’entretien, mais d’une pièce autre que celle où l’on voit les deux personnages, comme si le montage a été effectué «ailleurs». Et c’est la plus belle des définitions pour ces 27 secondes : tout ce que l’on voit, ressent et entend, se situe en dehors du Président, comme s’il était hors sujet de la séquence filmée. Avec cette séquence mal montée, mal enregistrée, mal finalisée, le spectateur a cette impression de ne pas réellement voir ce qu’on lui montre, excepté les bruits de couloir à travers le son qu’il perçoit. La télévision devient non plus une image sur la société, mais sur les couloirs fantomatiques d’une quelconque institution, d’un pays en somme !
3 septembre. On entend une voix
Cette fois-ci, le Président reçoit le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), en la personne d’Ahmed Gaïd Salah, qu’il avait déjà reçu le 14 août dernier. Toujours cette pièce familière, toujours cette résidence située dans la capitale et toujours assis confortablement dans un fauteuil, avec face à lui une table bien garnie de pâtisseries ainsi que le café de circonstance. Fait exceptionnel, on entend clairement la voix d’outre-tombe, maladroite, douce du Président, qui présente, il est évident, une difficulté à s’exprimer. Pas l’once d’une manipulation au niveau du son (c’est bel et bien le son direct), ni d’un plan qui serait répété deux fois, juste le sempiternel cut de rigueur, pour ne pas trop montrer les difficultés physiques et autres hésitations d’Abdelaziz Bouteflika. A travers ces images, le service de la communication de la Présidence souhaite montrer un Président apte à boire, manger, écouter, réfléchir et surtout parler. De la voix, du geste et des yeux. Le Président n’est plus une machine dans laquelle on insérerait une pièce pour faire fonctionner. C’est bel et bien un être humain. Enfin, c’est ce que les images souhaitent montrer. Malgré tout, une question reste en suspens : que se passe-t-il hors-champ ?
Que voit-on ce 12 juin 2013 dans notre petite lucarne ? Pratiquement rien qui ne donne le tournis, excepté une mise en scène maladroitement effectuée par le réalisateur télé, donc du département communication de la Présidence, qui tente de montrer un homme totalement indépendant de la maladie et encore apte à bouger, manger, respirer, ouvrir les yeux, boire, écouter, répondre. Les images défilent lentement, posément, et le montage, par petits coups, se veut plus pernicieux, en évitant par exemple le son (aucun captage de la conversation entre Bouteflika et son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, juste les flashs des appareils photos), excepté un commentaire écrit au scalpel du journaliste qui relate les deux heures d’entretien sans qu’on en ait une réelle preuve, le tout interrompu sans cesse par un montage qui coupe dans l’action elle-même. Exemple : le Président effleure le rebord de sa tasse de ses lèvres, puis la pose sur la table. Il prend une serviette et cut ! Le plan suivant est suffisamment large pour que l’on comprenne que cette image ne suit pas la chronologie de l’action, qu’il y a maldonne sur la durée réelle du geste. Dernier plan : Bouteflika regarde Sellal, mais on sent, par sa gestuelle, qu’il vient de poser la serviette sur la table. Il y a donc montage, et dans la foulée un désir formel de filtrer certaines images, certains instants. L’idée de cette séquence est de rassurer, soulager le peuple algérien que son Président est encore vivant. Et comment y procéder ? En lui montrant les choses qui lui sont familières, à savoir les mêmes gestes qu’il effectue dans son quotidien. Enfin, en affichant cette situation bancale, le spectateur devient un voyeur et ressent de l’empathie envers ce malade suffisamment âgé pour se dire : «Laissons-le tranquille.» A partir du moment où l’image crée une émotion fabriquée, il y a violence : l’esprit de celui qui regarde est suffisamment taillé en pièces, pour «accepter» dorénavant l’absence des hautes instances politiques, et dans la foulée, la situation bringuebalante de la politique algérienne. La télé devient donc un mouchoir de luxe.
16 juillet. On ne remarque rien et c’est déjà beaucoup
Bouteflika arrive en Algérie. Son avion vient de se poser. Les officiels sont présents. Le Président sort enfin de l’avion, d’un pas tranquille. Mais il n’a pas eu le temps de fouler le tarmac que le montage, toujours féroce de la télévision, coupe l’action pour passer à autre chose. On y voit le cortège du Président, des voitures rouler à vive allure, sans que l’on puisse identifier dans laquelle de ces berlines se trouve Abdelaziz Bouteflika. On imagine, et c’est déjà essentiel pour la télévision. Dernière séquence de ce reportage, le sempiternel tableau où l’on voit le Président recevoir entre autres le président du Conseil, le président de l’Assemblée et son Premier ministre. Contrairement aux images parisiennes du 12 juin, il paraît moins détendu, plus à l’aise, mais toujours avec ce regard étrangement vide. Que voit-on cette fois-ci ? Qu’il peut suivre plusieurs conversations grâce notamment à la disposition des invités, assis aux deux extrémités de la pièce, sur de larges canapés, donnant un aperçu de la possibilité pour le Président d’être encore attentif. Puis l’on entend – assez mal – une phrase de Larbi Ould Khelifa dans laquelle le mot «toujours» vient heurter nos oreilles. Plan suivant, Sellal s’adresse au Président, mais ce n’est pas sa voix qu’on l’on cerne, mais plutôt celle d’Ould Khelifa avec son mot «toujours». Encore une fois, la télévision filtre et l’image et le son, afin de ne pas montrer la «réalité» des choses, sous les flashs des appareils photos. Mais cela va tellement vite que l’on ne constate pratiquement rien. Et c’est déjà beaucoup.
14 août. Le Président hors sujet
La séquence va durer 27 secondes. Pas plus pas moins. Ce jour-là, les Algériens découvrent la troisième apparition officielle de leur Président, recevant le Premier ministre dans sa résidence d’Alger. Toujours des vases posés derrière Abdelaziz Bouteflika, toujours une table bien garnie de pâtisseries et autres sucreries, et toujours le Président qui affiche un regard vide tandis que Sellal lui explique deux trois choses qu’il sait de l’Algérie. On y voit les flashs mais on ne les entend pas. Mieux que ça, le son n’est pas celui de l’entretien, mais d’une pièce autre que celle où l’on voit les deux personnages, comme si le montage a été effectué «ailleurs». Et c’est la plus belle des définitions pour ces 27 secondes : tout ce que l’on voit, ressent et entend, se situe en dehors du Président, comme s’il était hors sujet de la séquence filmée. Avec cette séquence mal montée, mal enregistrée, mal finalisée, le spectateur a cette impression de ne pas réellement voir ce qu’on lui montre, excepté les bruits de couloir à travers le son qu’il perçoit. La télévision devient non plus une image sur la société, mais sur les couloirs fantomatiques d’une quelconque institution, d’un pays en somme !
3 septembre. On entend une voix
Cette fois-ci, le Président reçoit le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), en la personne d’Ahmed Gaïd Salah, qu’il avait déjà reçu le 14 août dernier. Toujours cette pièce familière, toujours cette résidence située dans la capitale et toujours assis confortablement dans un fauteuil, avec face à lui une table bien garnie de pâtisseries ainsi que le café de circonstance. Fait exceptionnel, on entend clairement la voix d’outre-tombe, maladroite, douce du Président, qui présente, il est évident, une difficulté à s’exprimer. Pas l’once d’une manipulation au niveau du son (c’est bel et bien le son direct), ni d’un plan qui serait répété deux fois, juste le sempiternel cut de rigueur, pour ne pas trop montrer les difficultés physiques et autres hésitations d’Abdelaziz Bouteflika. A travers ces images, le service de la communication de la Présidence souhaite montrer un Président apte à boire, manger, écouter, réfléchir et surtout parler. De la voix, du geste et des yeux. Le Président n’est plus une machine dans laquelle on insérerait une pièce pour faire fonctionner. C’est bel et bien un être humain. Enfin, c’est ce que les images souhaitent montrer. Malgré tout, une question reste en suspens : que se passe-t-il hors-champ ?
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